Alors qu'il attendait comme d'habitude les passagers au volant de son inséparable guimbarde, son unique moyen pour gagner le pain quotidien de ses enfants, une immense angoisse est venue l'envahir. Il venait de lire dans un journal la décision de retirer de la circulation tous les véhicules âgés de plus de 30 ans. Il ne crut pas ses yeux jusqu'au moment oû plusieurs de ses semblables, saisis par les mêmes inquiétudes, vinrent le harceler avec les mêmes interrogations sur leur avenir que des nuages menaçants venaient d'assombrir. Dépité jusqu'aux larmes par la nouvelle il regarda tendrement cette fidèle compagne qu'on lui demande de quitter et un flot de souvenirs le submergea. C'était en 1962, dans l'euphorie des fêtes de l'indépendance qu'ils sont venus au monde tous les deux. Quelques jours avant sa naissance, son défunt père l'avait acheté flambant neuf et c'est dans ce véhicule qu'il est revenu de l'hôpital où sa maman l'avait mis au monde. Cette dernière qui avait désespéré d'enfanter un jour après une longue attente infructueuse et qui s'était résignée à sa condition peu enviable de femme stérile était aux anges. Avec le bonheur de la paix retrouvée, la providence lui avait enfin souri en lui offrant simultanément un joli bébé et en étrenne : la fameuse 404, une reine à l'époque digne des grands favoris. Délivrée des entraves de l'humiliant laissez-passer pour se déplacer d'un endroit à l'autre imposé par les autorités coloniales, la petite famille s'est permis de sillonner dans tous les sens le pays et d'effectuer même quelques ballades au delà des frontières. Dés son jeune âge il collait comme une ombre à son père dans ses fréquents déplacements, et trouvait toujours le prétexte pour être du voyage .Petit à petit il a appris les rudiments de la mécanique et c'était lui qui faisait les petites courses en évitant les grandes voies de circulation et les agglomérations pour ne pas se faire piquer par la police routière jusqu'au jour où il atteignit l'âge requis à l'obtention du permis de conduire et rejoindre la confrérie des chauffeurs. Depuis ce temps ils ne se quittent pratiquement jamais. Elle a été de tous les événements qu'a connus la famille, aussi bien les joies que les peines, les longs voyages vers la Mecque que les marchés hebdomadaires du pays qu'elle n'a manqués qu'exceptionnellement. On ne distinguait plus l'homme de la voiture tant ils faisaient corps. Malgré toutes les tentations, aucun des deux ne s'est laissé séduire par une quelconque infidélité et n'a osé échanger son équipier contre d'autres partenaires. Dés que l'un est indisposé l'autre le prend en charge et l'accompagne chez son guérisseur pour se refaire une santé. L'homme bichonnait affectueusement le véhicule qui à son tour le lui rendait mille fois en mieux. Bien entretenu ce véhicule a défié le poids des années et rendu d'immenses services à tout ceux qui ont eu besoin de son aide, surtout dans des endroits inaccessibles pour les voitures neuves. Aussi loin que portent ses souvenirs il ne se rappelle pas avoir causé un jour le moindre dégât et a toujours donné satisfaction même si, avec l'âge, sa maintenance devenait de plus en plus onéreuse. La première question qui vient à l'esprit est sans conteste celle de comprendre comment on peut ignorer à ce point la structure du parc national et surtout le recours incontournable au véhicule d'occasion avec l'inusable « 404 » en figure de proue. Il suffit pourtant de faire un tour du coté des marchés et des souks hebdomadaires ou des stations de voyageurs pour se rendre à l'évidence et se convaincre que ce type de transport a encore de beaux jours devant lui et beaucoup d'adeptes. Peut-on oublier aussi facilement les nombreux services que peut encore rendre cet outil de travail indispensable pour évacuer le campagnard malade ou la paysanne sur le point d'accoucher, quand ce n'est pas pour leur faire parvenir les provisions et la bouteille de gaz butane. Même démodé, il demeure le maitre inégalé des chemins escarpés pour assurer au paysan les déplacements des intrants de son activité et l'enlèvement de sa production. Depuis longtemps déjà, il n'éprouve plus aucune velléité pour la compétition et s'est rangé de lui-même loin des courses de rallye et autres prouesses sur la route en cédant discrètement cet espace étourdissant aux derniers nés de la mécanique. Son utilité largement avérée par la pratique de tous les jours n'est plus à démontrer et l'on se demande alors comment pourrait-on prétendre s'en passer aussi facilement, parce que quelqu'un a jugé qu'au-delà de trente ans on devient fatalement dangereux ? A-t-on une idée de l'importance et de l'apport du segment de la société qui détient encore ce genre de véhicule et surtout pourquoi ? Ce sont tous les petits propriétaires des camionnettes qui assurent l'approvisionnement de nos marchés et toutes les aires de négoce en plus d'une bonne proportion des taxieurs agréés. La plus grande partie de transporteurs clandestins dont le mérite est d'être constamment disponible et de maintenir le prix des courses dans les limites du raisonnable en atténuant le dictat de la corporation. C'est, pour ainsi dire, toute la population des pauvres gens laborieux et les petits fonctionnaires qui l'utilisent pour subvenir à leurs besoins. Leurs moyens financiers ne leur permettent pas d'acquérir des véhicules plus récents, donc plus chers et en dehors de leurs capacités ! Nonobstant les innombrables services que ces véhicules rendent encore à la société pour leurs différents types d'usages, c'est la mise en chômage délibéré de leurs propriétaires qui interpelle les consciences sur les répercussions de la décision si elle venait à être appliquée Est-on capable de garantir en urgence la création de milliers de postes de travail pour compenser la perte d'activité de ces gens que cette mesure enfoncerait encore d'avantage dans la précarité. Dans ce cas il faut prendre en compte les différentes difficultés liées à une reconversion imposée et aux alternatives de remplacement pour ne pas handicaper les usagers habituels. A moins d'envisager de les doter gracieusement d'engins capables d'assurer la relève et de desservir toutes les configurations de terrain, il est pratiquement insensé d'interdire la circulation des voitures d'occasion .On aurait, pour un résultat aléatoire, inutilement «tué la chèvre des orphelins »comme le dit un adage de notre terroir. D'ailleurs pourquoi les retirer si le contrôle technique juge qu'ils sont toujours en état de servir convenablement ? A fortiori ils sont quotidiennement passés au crible fin par les contrôles routiers. Avec beaucoup de préjugés et un peu de hogra (une proie facile !), on les arrête et on les vérifie automatiquement dés qu'on les aperçoit. Leur look attire curieusement l'attention de la maréchaussée ! En quelque sorte ces véhicules sont bien suivis, ce qui les oblige à se conformer aux règlements. Leur incidence dans la provocation des accidents de la route serait elle aussi significative pour les condamner arbitrairement à la casse et leur propriétaire au désoeuvrement ? Même si c'est un des facteurs qu'on peut admettre à la rigueur, les origines du problème ne se limitent malheureusement pas à l'ancienneté du véhicule. Les fous qui osent transformer des bolides surgonflés en engins de mort et se permettre de piétiner souvent avec insolence les règles de conduite ne se recrutent pas dans cette catégorie de pauvres gens obnubilés par le poignant souci de gagner laborieusement leur croute. La plupart des sinistres routiers sont dus à l'excès de vitesse et ce sont les véhicules rutilants neufs qui peuvent s'en permettre l'ivresse. Ceux qu'on associe vite à l'image de gens importants ou redoutables alors qu'il ne s'agit dans la plupart des cas que de prospères trabendistes ou de bagarra avec le vent en poupe. Les chauffeurs de poids lourds et transport en commun surexploités en l'absence de contrôle et de tout suivi médical sérieux sont essentiellement responsables des drames collectifs. Combien de formules ont été essayées sans aucun résultat tangible, donc pourquoi poursuivre obstinément une voie qui ne produit que des échecs à répétition pendant que des vies humaines sont fauchées à chaque instant. Les mesures coercitives aussi drastiques soient elles pour enrayer l'hécatombe sur nos routes semblent de peu d'effet .On feint d'oublier que la conduite est aussi une forme de culture dont l'ancrage dans les m_urs requiert un véritable système d'éducation à longue haleine. La repression, même si elle est nécessaire parfois, n'arrivera jamais, seule, à renverser la tendance de ce phénomène infernal. Pour preuve, l'aggravation vertigineuse des sanctions n'a pas eu l'effet escompté et semble avoir atteint ses limites sans dissuader personne ! Il ne suffit pas de se satisfaire d'exprimer un doute sur la qualité des interventions d'un service qu'on a créé justement pour juger de la conformité du véhicule aux règles de sécurité : en l'occurrence le contrôle technique quand la situation commande la nécessité et l'urgence d'en revoir la fiabilité pour l'adapter à sa mission originelle et le moraliser encore d'avantage. Dans les faits démontrés chaque jour, pour faire un accident il y a, en plus des défaillances mécaniques et le surmenage des routiers, deux cas de figure majeurs complètement hors de la portée du prolétaire et de son vieux tacot : Il faut avoir un bolide surpuissant capable de participer au rodéo sur l'asphalte ou être le fils d'un gros ponte réfractaire impunément au code de la route... Alors, pourquoi incriminer en priorité les véhicules anciens, même si c'est une vénérable « 404 ». Lui faire porter à elle et à ses congénères la responsabilité de tous les malheurs de nos routes revient tout simplement à se tromper de cible ! Si nos meilleurs spécialistes confirment que plus de 80% des sinistres sont dus au facteur humain c'est que notre problème est beaucoup plus d'ordre comportemental intrinsèquement lié à une fâcheuse habitude ou l'on cultive à outrance l'esprit « khati rassi ».Détourner le regard pour éviter de voir la faute et de s' impliquer dans sa résolution même si elle relève de ses propres attributions ,voila un état d'esprit qui ne cesse de faire des ravages dans tous les domaines !.On a beau l'expliquer par un souci d'indulgence, son abus le pousse scandaleusement aux confins du laxisme et de la complaisance .Un grand penseur avait dit à ce propos qu' « il est dans la tolérance un degré qui confine à l'injure » C'est dans l'usage qu'on fait de nos lois que se trouve notre tendon d'achille.Pourtant d'après nos juristes notre pays dispose d'un arsenal de lois des plus fournis ! La solution réside donc dans l'application des règles de la même façon pour tout le monde et avec la même rigueur. Il faut pour cela d'abord rasséréner le climat ambiant et réapprendre à se respecter mutuellement le plus normalement du monde. Chacun de nous est là pour une mission bien déterminée et doit la remplir sans aucune contrainte ni excès de zèle. Lorsque si Flen ou son rejeton se fera verbaliser normalement à la moindre entorse comme tout le monde, même les fortes têtes les plus récalcitrantes finiront par rentrer dans le rang et respecter le code de la route qui aura recouvert ainsi sa crédibilité. Lorsque l'action du gendarme ou du policier n'est pas désavouée publiquement par les effets des interférences qui peuvent échauder les meilleures volontés. Lorsque l'agent de l'ordre aura suffisamment d'autorité pour faire son travail convenablement et sanctionner tous les contrevenants quelque soit leur statut social sans le risque d'être humilié ou même encourir impunément une menace quelconque. Ce qui finira par le décourager et même de le dissuader d'agir. Lorsqu'on aura sécurisé les routes avec les contrôles inopinés et surtout mobiles (les fameux motards d'antan, dont les apparitions impromptues sur les routes dissuadaient toute la faune des chauffards et remettaient miraculeusement de l'ordre dans la jungle de la circulation!). Lorsque l'état physique du conducteur (ébrieté, fatigue, nervosité manifeste etc..) est contrôlé et pris en compte pour justifier l'immobilisation instantanée du véhicule jusqu'à la récupération ou au remplacement. Lorsque les horaires de départ et d'arrivée des transporteurs publics seront réglementés et rigoureusement contrôlés pour enrayer les courses folles afin d'arriver le premier et piquer le client. Lorsqu'on aura maitrisé le marché de la pièce de rechange dont on importe les dangereuses copies par conteneurs entiers des pays asiatiques. Nous n'aurions fait que rappeler une partie des préoccupations auxquelles pensent tous les usagers de la route et principalement les victimes de ce fléau. En attendant, nous souhaitons simplement leur formalisation sur le terrain.