En terre d'immigration, les auteurs étrangers peuvent être confrontés à des difficultés non exemptes de retombées néfastes tant en renommée que financièrement. C'est ce qui arriva à l'un d'eux avec une maison d'édition qui a pignon sur rue à Paris, celle-ci se targuant d'avoir de publier des auteurs francophones, notamment ceux d'Afrique noire et du Maghreb. L'intérêt de cette étude est, me semble t-il, double : permettre aux auteurs étrangers -dont mes compatriotes- de relire leurs contrats pour mieux défendre leurs droits, d'une part, et par ricochet d'ancrer chez nous de façon durable les droits attachés à la propriété intellectuelle, d'autre part. Ainsi, les contrats proposés auxdits auteurs stipulent des tirages de 1000 exemplaires avec une clause manifestement illégale quant à la rémunération, à savoir zéro franc/euro pour les mille premiers exemplaires vendus ; clause condamnée à plusieurs reprises par les Juridictions. Dans ces conditions, les auteurs ne percevant aucune rémunération de leur éditeur durant les vingt dernières années, cette Société -avec un catalogue des plus achalandés- a pu réaliser un chiffre d'affaires de quelques millions d'euros et se situer parmi les premières maisons d'édition française avec augmentation substantielle de son capital social. Il s'agit bien là d'une politique commerciale visant la rentabilité, au détriment de plusieurs centaines, voire de milliers d'auteurs. Cette société s'est vue proposer des manuscrits par Monsieur Y, écrivain, chercheur et universitaire, qui est l'auteur d'articles et de textes à caractère littéraire. La Société X a édité plusieurs ouvrages de celui-ci dont l'un a reçu, en vue de sa publication, un avis très favorable émanant d'un universitaire réputé pour sa connaissance des pays du Maghreb. Et les critiques et compte rendus de cet ouvrage ont été visibles dans la presse écrite (journaux et revues), tant française (Le Monde diplomatique, Jeune Afrique...), qu'étrangère, notamment de langues arabe (Kol El Arab, El Watan El Arabi) et même allemande et grec, ainsi que des média radiophoniques locaux (Radio Beur et Radio Maghreb) et nationaux (Radio France International) qui ont été particulièrement intéressés ; ce, outre que Monsieur Y a été également directement sollicité par différentes institutions, dont des Universités allemande et canadienne, et des Associations d'écrivains, ainsi que des journaux tel Le Monde diplomatique, voire par certaines chaînes de télé par l'invitation du journal télévisé (ex-Antenne 2) dont les retombées financières et en bonne renommée étaient certaines tant pour l'auteur que pour l'éditeur. Il faut savoir que les contrats d'édition litigieux liant les auteurs aux Editions X sont des contrats-type pré imprimés dont certains auteurs on pris soin de réclamer la reddition amiable des comptes pendant plusieurs années de suite tant verbalement que par courriers simples compte tenu de la confiance investie par les auteurs en leur éditeur. Et souvent malgré d'itératives mises en demeure adressées par lettres recommandées avec demande d'avis de réception, la Société X ne daignait pas faire droit aux demandes légitimes et justifiées des auteurs qui d'évidence ne peuvent avoir accès à tous documents utiles pour vérifier les chiffres annoncés par l'éditeur dans ces décomptes au demeurant non conformes aux prescriptions légales. C'est dans ces conditions que Monsieur Y a saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins notamment de dire et juger que la Société Anonyme X a commis diverses violations de ses obligations : inexécution de l'obligation d'édition relativement au non-respect des tirages et des délais, violation du principe d'ordre public de la rémunération légale proportionnelle et de la participation de l'auteur aux recettes en fonction du prix de vente au public, inexécution de l'obligation de reddition des comptes concernant les chiffres des ventes et inexécution de l'obligation de diffusion commerciale et d'exploitation permanente. Et, à ce titre, de prononcer au principal, la résolution des contrats d'édition liant Monsieur Y à la Société X à raison de l'illicéité de la clause de rémunération 0% pour le premier mille d'exemplaires d'ouvrages vendus ; et celle de cession des contrats litigieux (violation des dispositions des articles L 131-3 et L 131-7, et L. 122-7 alinéa 1er du Code de la Propriété Intellectuelle, CPI) ; subsidiairement, de prononcer, la résiliation des contrats d'édition liant Monsieur Y à la Société X; ce, à raison de la violation par l'éditeur de ses diverses obligations contractuelles sus-décrites, s'agissant de contrats à exécution successive et considérant que la rémunération a un caractère déterminant et essentiel dans le consentement de celui-ci, d'autant que cette société se montre réticente à communiquer spontanément les pièces que les auteurs réclament vainement. Sur le fond, le Tribunal de Grande Instance a rendu un jugement par lequel il a notamment déclaré nulle la clause de rémunération contenue à l'article 4 des contrats d'édition conclus entre Monsieur Y. et la Société X. En conséquence, il a prononcé la résolution des contrats précités et condamné cette Société à payer à l'auteur des dommages et intérêts ; la société X ayant interjeté appel, la Cour d'Appel a rendu un arrêt qui a retenu le raisonnement du tribunal pour condamner cette société mais a réduit le montant de la somme à payer à l'auteur. Déféré à la Cour de cassation par l'éditeur, l'arrêt a été cassé au motif notamment que l'auteur ne peut invoquer une décision condamnant le même éditeur pour la computation du délai pour agir de l'auteur fixé à cinq ans à compter de la conclusion du contrat ; ce, relativement à la clause de rémunération jugée illicite. Renvoyée devant la Cour d'Appel autrement composée qui se trouve ainsi investie de la connaissance de l'entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit et n'étant pas liée par les motifs de l'arrêt cassé (Civ. 3ème, 3 mai 1978 : Bull. civ. III, n° 184 ; Com. 16 févr. 1988 : JCP 1988 IV. 152 ; Civ. 2ème, 3 février 2000 : Bull. civ. II, n° 22 ; Cas. Civ. 1, 7 décembre 1999, Bull. 1999, I, n°334 ; Cas. Com., 15 octobre 2002, Bull. 2002, IV, n° 142) ; en effet, se conformer purement et simplement à la décision de renvoi de la Cour de cassation équivaut à désavouer non seulement l'appréciation du Tribunal, mais également celle de la Cour d'Appel elle-même et déroger à la condamnation de l'éditeur permet à celui-ci de prospérer au détriment de l'intérêt évident de quantité d'auteurs qui ne pourront plus exercer aucune action contre celui-ci et leurs droits à jamais remisés. Ce qui nuit incontestablement à la bonne administration de la justice. La Cour de cassation n'a manifestement pas tenu compte de ce que la société X a été à plusieurs fois condamnée dans des affaires similaires; ainsi notamment, à titre d'exemples au niveau du Tribunal (TGI Paris, 29.10.2002 ; TGI Paris, 10.01.2003 ) et par la Cour (CA Paris, 4ème Chambre section A, 25 juin 2003; CA Paris, 4ème Chambre, Section B, 24.06.2005 ). En revanche, la Cour d'appel a notamment entendu décider que : La cession des droits d'auteur sans contrepartie financière doit être dépourvue de toute ambiguïté et expressément consentie (ce qui n'est pas le cas en l'espèce) ; en effet, le fait de consacrer plusieurs années à son œuvre constitue un élément déterminant de son consentement. Les contrats en cause sont des contrats à exécution successive pour lesquels la prescription de l'action en nullité relative ne pouvait commencer à courir que du jour où les relations contractuelles des parties cesseraient ou qu'un nouveau contrat serait substitué au précédent (en l'occurrence, il ne s'agit pas d'apprécier le bien fondé du caractère licite de la clause de rémunération -elle est manifestement illicite- mais seulement de déterminer si, en raison de cette décision, le dol et l'erreur sont admissibles (la sécurité juridique ne pouvant consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable : Cass. soc. 7 janvier 2003, n° de pourvoi : 00-46476). Position dominante de l'éditeur et état de dépendance de l'auteur Monsieur Y fonde sa demande de nullité eu égard aux manœuvres dolosives l'ayant induit en erreur ; ces manœuvres consistent notamment en une réticence de l'éditeur à remplir son obligation précontractuelle d'information à l'égard de son auteur quant aux clauses du contrat présenté comme un contrat d'usage et habituel, la société X ne pouvant se prévaloir de sa position dominante dans un secteur déterminé et de contrainte morale et de l'état de dépendance dans lesquelles certaines catégories d'auteurs se trouvent d'avoir à publier pour, d'une part, leur imposer des conditions illicites et, d'autre part, imposer ces conditions illicites comme usage à tout un chacun des auteurs, d'autre part. Pour mettre un terme à cette situation, Monsieur Y a soulevé les violations par la Société X de certaines dispositions légales concernant les droits d'auteur et l'inexécution de ses engagements contractuels ; ainsi, en est-il de la violation du principe d'ordre public de la rémunération légale proportionnelle et de la participation de l'auteur aux recettes en fonction du prix de vente au public. En ce sens, cette Société n'applique pas les dispositions d'ordre public du CPI sur la rémunération proportionnelle, d'où l'illicéité de l'article 4 des contrats litigieux qui stipule : Pour prix de cession du droit d'édition ci-dessus prévue, l'Editeur versera à l'auteur, pour chaque exemplaire vendu un droit correspondant sur le prix fort de vente hors TVA : 0% sur le premier mille». Bien entendu, l'auteur n'a pu exercer aucun contrôle sur les comptes qui lui ont été irrégulièrement communiqués, aucun justificatif de nature comptable n'étant produit par la société X. En ce sens, l'auteur est en droit légitime de considérer que la prescription quinquennale ne s'applique pas lorsque la créance dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier (l'auteur) et qui, en particulier, doivent résulter de déclarations que le débiteur (éditeur) est tenu de faire (Cass. Civ. 1ère, 13 février 2007, n° de pourvoi : 05-12016 ; Cass. Soc. 26 septembre 2007, pourvoi n° 06-44246). L'auteur ayant été maintenu dans l'ignorance des clauses illicites du contrat litigieux, dont celle essentielle et déterminante de rémunération, c'est à bon droit que l'auteur demande le rejet de la prescription alléguée par la société X (Cf. Cass. soc. 20 février 2008, n° de pourvoi : 06-45878) ; au surplus, l'action s'analysant en une demande de paiement d'une rémunération ne présentant pas le caractère de salaire, comme en l'espèce, cette action n'est pas soumise à l'application de l'article 1304 du Code civil (Cass. soc. 25 janvier 2006, Pourvoi n° 03-46618). En toute hypothèse, la jurisprudence admet la résolution rétroactive d'un contrat à exécution successive, arrêt qui a connu des applications, ainsi : Cass. Civ. 3è, 2 juin 2004 n° 03-12933 ; Cass. Civ. 3è, 21 juin 2004, Bulletin 2004, V, N° 172, p. 162 ; Cass. civ. 1ère, 1995-06-07, Bulletin, I, n° 244, p. 171) Et il est étonnant que la Cour de cassation n'ait pas jugé utile d'en tenir compte. L'obligation de rémunération est essentielle à l'équilibre du contrat ; l'article L. 131-4 du CPI dispose que la cession par l'auteur de ses droits d'exploitation sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l'auteur une participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation. Il faut qu'un pourcentage précis (non nul comme celui stipulé dans le contrat litigieux) soit mentionné dans le contrat ; à défaut, cela équivaut à une cession sans contrepartie contraire aux prescriptions du CPI et aux principes du droit civil. Il a été ainsi jugé que la clause du 0% est illicite (Cf. CA Paris, 24 novembre 1987; TGI Paris du 30 novembre 1999; CA Paris, 24 juin 2005 ). Selon l'article 6 intitulé Relevés de comptes des contrats litigieux, « le solde créditeur lui sera payable à partir du 3ème mois suivant l'arrêté des comptes » ; cette prestation de rémunération constitutive d'une dette dont est redevable l'éditeur, en sa qualité de débiteur, est payable par échéances successives (soit à partir du 3è mois suivant l'arrêté des comptes qui intervient chaque 30 juin de chaque année), la prescription ne pouvant courir contre cette prestation qu'à compter de chaque échéance. De même, en est-il de l'obligation de diffusion commerciale et d'exploitation permanente et suivie de l'œuvre dès lors que, selon les termes mêmes de l'article L.132-12 du CPI, l'éditeur est tenu justement d'assurer à l'œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale; ce, car lorsque l'auteur concède l'exploitation de son œuvre, c'est en contrepartie de l'engagement de l'éditeur de diffuser et d'exploiter celle-ci de façon professionnelle ; ce, outre le fait que l'article L.132-11 du CPI rappelle que l'éditeur doit publier l'œuvre en respectant son engagement contractuel quant au tirage et les délais pour l'édition. Or, la société X a failli à cette obligation essentielle également. Et surtout, il n'existe aucun support sérieux de publicité pour une réelle promotion de l'œuvre (Monsieur Y s'étant seul investi dans cette opération pour faire connaître ses ouvrages), le site de l'éditeur se limitant à reprendre en masse les auteurs, à l'instar de son catalogue général annuel. La Cour d'Appel n'a pas retenu le caractère successif des contrats litigieux. Pourtant, ils le sont et peuvent à ce titre être annulés à tout moment tout au long de l'exécution dudit contrat, le point de départ d'un délai à l'expiration duquel ne peut plus s'exercer une action se situe nécessairement à la date d'exigibilité qui lui a donné naissance (Civ. 1ère, 9 juin 1998, Bull. civ. I, n° 206). La doctrine civiliste (par exemple, Flour et Aubert, Les obligations, 1, l'acte juridique, Armand Colin, § 362) propose de ne faire courir le délai qu'après que le contrat ait pris fin Il est vrai que les conventions relatives au droit d'auteur sont pour la plupart du temps à exécution successive, ce qui entraîne d'autant le report du point de départ du délai (Pierre Sirinelli, Le Dalloz, 2001, n° 32, p. 2634). Pour d'autres auteurs : «La plupart des contrats d'auteur revêtent un caractère successif, leur exécution s'étalant dans le temps» (P.Y. GAUTIER Propriété artistique et littéraire, PUF, 2007, 6è édition, p. 527, n° 459). A suivre * Avocat N.B : La jurisprudence citée peut être consultée sur le site legifrance.