La transmission dynastique du pouvoir en Egypte sera-t-elle bousculée par l'entrée en lice de Mohamed El-Baradei, ancien chef de l'AIEA ? Ce dernier fait déjà figure de gêneur, d'intrus qui perturbe les plans, fort peu démocratiques, du régime du Caire. Les opposants égyptiens, même quand ils escomptent avoir leur propre candidat, comptent sur la stature internationale de l'ancien chef de l'AIEA pour contraindre le régime à déverrouiller le droit à la candidature. En effet, la Constitution, sur mesure comme toujours, impose aux candidats indépendants d'avoir l'appui de 250 élus, dont au moins 65 membres de l'Assemblée nationale, 25 du Conseil consultatif (Sénat) et au moins dix élus municipaux. Dans cette configuration, seul un candidat du parti au pouvoir ou, hypothétiquement, de l'organisation non reconnue des Frères musulmans - quand ils ne sont pas en prison - peut postuler. C'est donc au niveau des lois et du régime électoral que la succession est organisée, d'abord par l'élimination préalable des «perturbateurs». Le verrou juridique - inique et farfelu - mis en place par le régime empêche Mohamed El-Baradei d'être candidat. En entrant dans l'arène, il fait déjà une mauvaise publicité à un régime assuré de la complaisance inconditionnelle des régimes occidentaux. Le système Moubarak, comme tous les régimes despotiques, fait peu de cas de l'opinion nationale, mais est très sensible à son image extérieure, principalement en Occident. La pratique désormais répandue d'élaborer des apparences de démocratie fait de l'assentiment des Occidentaux le substitut à la légitimité populaire. Les Occidentaux peuvent ainsi décréter que l'Iran est une fausse démocratie et que ses voisinages arabes sont des autocraties acceptables, désirables et incomparablement supérieures. La nervosité du régime égyptien à l'égard d'un homme intègre, très connu en Occident, est révélatrice. Le régime égyptien, comme d'autres, a largement fonctionné vis-à-vis de l'extérieur en défendant la thèse qu'une alternative et l'alternance risquaient de déboucher sur «l'inconnu». Un inconnu islamiste, bien entendu. Avec un homme aussi policé qu'El-Baradei, l'argument ne tient pas. En se plaçant dans une perspective de candidature, l'ancien chef de l'AIEA incite déjà les médias internationaux à constater que les verrous juridiques ne produisent que des élections de pacotille. Et El-Baradei lui-même a décidé de mettre d'emblée le doigt sur des lois qui font des Moubarak et de leurs clientèles les seuls bénéficiaires du système électoral. Moubarak fils peu difficilement lui contester le label de réformateur. «Je souhaite être un instrument pour le changement», a déclaré. El-Baradei. «Je suis prêt à me lancer dans la vie politique égyptienne, à condition qu'il y ait des élections libres et le premier pas dans cette direction est un amendement de la Constitution, afin que je puisse me porter candidat (à la présidence en 2011) et que d'autres puissent faire de même». La popularité en Egypte d'El-Baradei reste à démontrer. Mais au plan politique, il relaie les préalables essentiels déjà soulevés par les opposants. El-Baradei est, par sa seule présence, un élément perturbateur d'une succession dynastique en préparation, que de très nombreux Egyptiens trouvent insupportable et indigne. Que l'opposition égyptienne, dans sa diversité, salue avec force l'entrée en lice d'El-Baradei montre que l'enjeu est bien d'empêcher qu'une république bien imparfaite ne se transforme en monarchie en bonne et due forme.