Ce que viennent d'endurer les enseignants de l'éducation nationale me rappelle la situation vécue par les enseignants du supérieur au moment des augmentations de 1996 sous la tutelle du toujours inamovible ministre lorsque leurs salaires étaient placardés partout dans les unes des journaux de la presse écrite comme les célèbres «Wanted» du Far-West américain. On faisait beaucoup plus dans le sensationnel et le tapage médiatique que sur la résolution des problèmes posés. Plus de quatorze années se sont écoulées sans que cette revendication essentielle des enseignants universitaires ne puisse encore trouver des oreilles attentives au sein des pouvoir publics pour une clôture définitive de ce dossier. Les enseignants du supérieur n'ont cessé de se battre jusqu'à nos jours pour aspirer à une vie décente. Les plus déterminés sont aux portes de la retraire s'ils n'ont pas encore quitté la baraque pour d'autres cieux. Comme quoi, c'est la même politique assidue qui sévit depuis des années. L'ère de faire du neuf avec du vieux a fait ses catastrophiques preuves. Ainsi, les salaires de la misère des délabrés enseignants sont étalés sur la scène publique comme ceux de vulgaires voleurs attrapés la main dans le sac. On dirait des salaires de la « Djifa », de l'illicite. Ce qui révolte le plus, ce sont ces chiffres virtuels en deçà de la vérité, loin de la réalité comme viennent de l'annoncer les syndicats du secteur de l'éducation nationale. La prime du rendement, qui d'habitude est perçue tous les six mois, semble cette fois-ci incluse soigneusement dans le salaire. On veut ainsi naviguer continuellement dans les eaux troubles. En tant que responsable du secteur de notre éducation nationale, le ministère aurait dû au moins inviter ces syndicats à une réunion ne serait-ce qu'informelle pour leur dévoiler les chiffres dans leurs moindres détails, les analyser ensemble, les discuter avant de les transmettre à la base. N'ont-ils pas travaillé depuis longtemps sur ce dossier pour être marginalisés à la dernière minute de cette façon indigne, en voulant les livrer soi-disant à la vindicte populaire ? Je crains pour celui qui sème le vent ne va croiser sur son chemin que la tempête. Cette façon lamentable de communiquer est en train de produire un effet contraire. La preuve, mon fils vient d'être renvoyé de leurs écoles en ce matin du mercredi à cause d'une grève annoncée qui débute. La seule vue de l'enseignant du primaire me donne un aperçu rapide de la situation alarmante de ses collègues. Qu'il vente ou qu'il pleuve, ils s'habillent indéfiniment de la même façon avec les mêmes vêtements, usés et décolorés par le temps. C'est leur dignité qui leur défend d'invoquer leur pénible état. Ils feintent de paraître à l'abri mais l'intérieur brûle à petits feux. Pire, il y a ceux qui font leur boulot dans des extrêmes situations, lointaines en errant de douars en douars. Les enseignants constituent, à l'instar de la santé publique, la colonne vertébrale de la fonction publique de pays. Le ministère devait être en principe tranquillisé d'avoir en face de lui des syndicats qui défendent avec acharnement l'un des acquis de l'Algérie indépendante qu'elle l'école. On sent qu'ils représentent qu'un fardeau de plus sur les épaules du ministère, ressemblant inlassablement à des adversaires qu'à des partenaires sociaux servant toujours d'alibis. Un syndicat n'est pas qu'un synonyme de grèves comme on le laisse entendre et en tentant de le faire croire par tous les moyens. C'est aussi une force de propositions et de réflexions. Je ne pense pas un instant que l'on fasse grève pour le plaisir. A mon modeste avis, c'est le dernier moyen auquel adhèrent les enseignants lorsque les voies du dialogue sont obstruées. A ma connaissance, ces enseignants disposent de syndicats qui les représentent et qui se battent sur la scène syndicale à la recherche d'une digne reconnaissance sociale dans leur pays, pas uniquement salariale, pour pouvoir mener à bien la mission à laquelle ils sont appelés et qu'ils ont choisie par amour à la profession. Ce que gagne un enseignant du secondaire ou un enseignant universitaire pendant un mois est engrangé en quelques fractions de secondes par ceux qui vivent sous les mamelles de maman la république ou sous la tutelle de l'informel. Les scandales sont légendaires et noircissent tous les jours notre mémoire collective. Est-ce que l'affichage des seuls salaires des enseignants peut prouver quelque chose de palpable si nous ne pouvons pas les comparer, point par point, à d'autres rétributions. Ils n'ont aucune valeur pécuniaire s'ils ne sont pas étalonnés convenablement à des repères bien définis (missions, diplômes, responsabilités, ). Est-ce qu'une étude, sérieuse et officielle, a un jour éclairé nos lanternes sur les non-dits sur ce gros dossier ? Le salaire d'un enseignant ne veut absolument rien signifier si nous ne le soumettons pas d'abord aux normes internationales pour un pays qui se veut être à l'avant-garde des pays du tiers monde ou en voie de développement lorsque cela arrange ses promoteurs. A quoi sert alors un SNMG s'il ne sert pas d'indicateur à nos salaires ? On ne peut pas résoudre un malaise à la va-vite en le substituant à un autre plus grave, dans la précipitation pour réparer une injustice des salaires qui n'a que trop duré. Un enseignant, tel qu'on avait connu à notre époque d'écolier, était quelqu'un de très respectable dans la société. Il avait un statut social des plus enviables, toujours bien tenu, bien habillé et cravaté. Entre un enseignant d'hier et d'aujourd'hui, un grand fossé s'est davantage creusé par la faute d'une politique salariale indécente qui n'a fait qu'appauvrir financièrement et intellectuellement les enseignants laminés par tant d'années de galère. Un seul achat vestimentaire, un simple pantalon pour ne pas dire un costume, et voilà que le budget mensuel est percé de partout. Plus des 75% du salaire, voire la totalité, sont engloutis dans le budget alimentaire. Même les lentilles et les pois cassés, accessibles aux petites bourses il n'y a pas si longtemps, ne peuvent plus subvenir aux besoins alimentaires du nécessiteux enseignant. Evoquer les protides devant lui, relève du miracle. Lui parler de fruits, cela le fait transposer dans le monde imaginaire. Les prix sont en constante évolution, cause d'une inflation non maitrisable. Le décret régissant l'évolution la valeur du point indiciaire n'a pas encore vu le jour alors que depuis septembre 2007, date de la promulgation du la grille des salaires des fonctionnaires. Les 45 dinars de l'époque ne sont plus les 45 dinars de février 2010. Deux années et demie se sont éteintes, sans que cela bouge nonobstant le prix du sucre qui a connu les plus sauts dévastateurs vertigineux. Paradoxalement, tout le monde constate que le niveau scolaire de nos enfants s'est dégringolé de manière inquiétante. Il est naturellement proportionnel aux salaires des éducateurs. Plus ces derniers sont bien dans leur peau, plus nos enfants sont en meilleures conditions. Là où le bât blesse, c'est le « deux poids, deux mesures » affiché par le représentant des pouvoirs publics à l'éducation nationale. Les Algériens, du chômeur en passant par le smicard jusqu'au sommet de la hiérarchie, auraient été enchantés de découvrir le salaire de tous. De l'entrepreneur qui ne sait lire ni écrire mais auquel le monde des affaires juteuses et douteuses lui sont grandement ouvertes par miracle de la corruption et des connaissances jusqu'au responsable dont la charge est une véritable sinécure. S'il existe un sacré chez nous, ce sont bien les salaires dissimulés, acquis et non divulgués qui peuvent heurter le commun des citoyens. N'en parlons pas des à-côtés tels que les voitures à la disposition de madame et des petits, l'essence à gogo, la villa gratos, les voyages et les vacances aux frais de la princesse, les hôtels chics, les salons VIP, etc. Comme nous le constatons fort malheureusement, il subsiste dans ce pays un réel déficit de la politique salariale. Ce qu'est licite pour les uns, est banni pour les autres. Nous nous rappelons toujours du mois d'octobre 2008 lors des fameuses augmentations des indemnités des parlementaires, aucune institution n'avait daigné envoyer officiellement les fiches de paie de nos députés aux médias. Comme quoi, il y a les salaires qui sont publics et les salaires qui resteront à jamais tabous. (*) Universitaire et syndicaliste