Retour sur l'affaire du voile et du passeport biométrique car ce n'est pas une affaire mais l'affaire de tous. La polémique est d'ailleurs tellement stérile, absurde, surréaliste qu'elle en devient une révélation médicale. L'islamisme en Algérie a été vaincu militairement et politiquement, il est vainqueur par endurance et par défaut d'autres idéologies que celle du pétrole ou celle des mosquées de quartier. Lu à l'entrée du parc d'attractions d'Oran: «Short interdit, pantacourt autorisé». Que faut-il en conclure ? D'abord cette tendance algérienne de la fatwa fast-food. On a eu des émirs tôliers, on a donc droit à des fatwas prêt-à-porter. Labsence de clergé religieux «officiel» ou du moins «légitime», l'alliance molle entre le pouvoir et le conservatisme religieux contre la démocratie ou le respect des libertés ont eu un enfant terrible: une sorte d'imam «je sais tout», qui n'existe pas, qui parle partout et dont tout le monde peut endosser la fonction avec un kamis et un survêtement. Les Algériens ont appris à avoir une sorte de fatwa sur tout et surtout sur ce qui concerne la liberté des autres. Ils ne sont plus mobilisables pour une cause de survie mais pour des effets vestimentaires ou des donations pour haut-parleurs de minarets. Faites-en l'expérience: lancez un débat sur l'usage polluant des sachets et vous serez seul, lancez un débat sur le hidjab et le passeport biométrique et vous serez foule et armées. «La journée sans achats» s'est soldée par une interpellation policière, la campagne contre la photo d'identité pour les femmes n'a pas provoqué plus que de la gêne médiatique des gouvernants. Le pouvoir, par «culpabilité ténébreuse», par conversion tardive de ses dirigeants tentés par la dévotion, sensibles à l'utilité des zaouïas et pas à celle du pluralisme, accusés de vol sans relâche et donc obligés à des prières publiques et des démonstrations de foi par ENTV interposée, a fini par accepter et encourager un islamisme horizontal qui prend en charge, à sa place, l'éducation de la société et sa talibanisation mentale sans que personne ne se sente ni menacé ni inquiété. Le pire est que cet islamisme rampant n'est ni celui du FIS vaincu ni d'un quelconque mouvement «local»: c'est une sorte de mélange entre les importations de livres, les chaînes thématiques religieuses qui pénètrent nos foyers, l'aura de quelques chouyoukh payés à l'heure dans l'univers du network satellitaire et le prétexte à un retour à une origine non contrôlée de l'identité. A la fin, cela donne une population de donneurs de fatwas un peu partout, des dérives de justice, des atteintes aux libertés et des pancartes genre «Short interdit». Quand il n'y a pas de loi souveraine, tout le monde en a une finalement et l'islamisme horizontal est connu pour sa vocation d'inventer des interdits en usant des libertés de candidatures. D'où la question de fond: pourquoi nos gouvernants, qui se sont réclamés de la république pour sauver le pouvoir et de la démocratie limitée pour défaire le FIS, s'accommodent-ils aujourd'hui de cette alliance qui va se retourner contre eux dès que possible ? Pourquoi malgré l'évidence qu'un courant islamiste n'est jamais un partenaire mais un totalitarisme en veille, on continue à préférer un journal à «Fatwa sur tous», vendant imams et rumeurs à la fois, à un roman dissident ? Pourquoi confond-on encore identité et nombre des mosquées et préfère-t-on une fatwa clandestine nuisible à un communiqué sur les droits de l'homme en Algérie ? On sait que le régime est soupçonneux, méfiant, calculateur, averti quant à ses intérêts et vigilant sur sa survie, pourquoi est-il à ce point aveugle sur cette islamisation folklorique et dangereuse, par école et journaux, de l'Algérie ? Comment peut-il lutter contre l'islamisme en armes en tolérant l'islamisme assis qui en est le père et la mère ? D'ailleurs, la bonne question est «que reste-il de laïc dans ce pays ?» entre son armée, ses institutions, ses chambres d'élus, ses polices et sa justice ? Pourquoi l'Islam n'est plus qu'islamisme commercial ? Aujourd'hui donc, on a droit à ce cafouillage en préfabriqué entre certains journaux, des conseils islamiques officiels, des imams, des salafistes soft, un ministère de l'Intérieur, le tout sur la question du passeport biométrique. Un jour on aura ce même débat piégé sur l'habit du président de la République, la jupe d'une ministre femme, les émissions de l'ENTV, une chanson raï et le droit d'avoir une photo tout court. Pourquoi ? Parce qu'on n'aura rien dit face à un courant islamiste qui dit ce qu'il veut. Un jour le FIS va gagner et, encore plus miraculeux, longtemps après sa mort et il le fera avec l'arme du ridicule imposé et pas celle du canon scié.