Suite et fin Il s'agit donc de s'inscrire dans la société comme elle est, et éventuellement d'y développer sa personnalité à condition de ne troubler ni l'ordre ni l'harmonie sociale. Bien entendu, le respect des règles devra êtres respecté par tous. Malheureusement, l'école apprend à l'enfant la soumission. Ce facteur est devenu un des symptômes les plus désespérants de l'école d'aujourd'hui, le «manque de motivation» des jeunes. Et sans faire le lien, pourtant évident à nos yeux, sa raison principale: la citoyenneté de la soumission où ces mêmes autorités veulent contenir les jeunes ! On leur propose, comme seuls horizons, d'être des instruments au service du pouvoir politique et des entreprises et d'obéir aux règles d'un certain «vivre ensemble tout en acceptant les inégalités sociales imposées par les personnes devenues riches par le vol et les détournements» Et vous vous étonnez de les voir manquer de motivation et se rebeller !? L'Algérie doit s'organiser en étant persuadée que l'aide internationale ne viendra jamais. Il faut que nos responsables voient enfin cette vérité en face: «Nous avons nos cadres, dont la majorité est restée intègre et honnête, à qui il faut faire appel. Nos décideurs doivent dire aux Occidentaux: « Voilà mon savoir-faire» (qui n'est pas de l'ordre du discours), ce dont je suis capable, si vous voulez nous aider... Nos ingénieurs, nos économistes sont aussi capables de présenter des projets fiables et crédibles de développement, nous sommes aussi capables d'être créateurs, compétitifs sur la scène internationale. La problématique est la suivante : au nom et autour de quelles valeurs reconstruire un nouveau projet éducatif ? Rassembler les énergies de toute la nation ? Apprendre aux jeunes et aux adultes algériens le «savoir», le «savoir-être», le «savoir-faire», le «savoir-agir» et le «savoir-vivre dans notre différence» en société moderne ? En d'autres termes, le projet éducatif doit être orienté pour permettre au jeune de pouvoir se dire autonome, c'est-à-dire trouver l'insertion sociale, culturelle et professionnelle. Comment amener ce projet éducatif à devenir l'expression de la volonté collective ? Inscrit dans le champ politique, économique et social de crise, ce projet éducatif doit être inspiré de l'intérieur par un projet de société sous-jacent, exprimé également en termes de valeurs, proposées à l'assentiment de tous, dans lesquelles le pays entier se reconnaîtrait. Le concept de valeur ne signifie rien d'autre que ce vers quoi on se sent attiré, ce à quoi on accorde du prix. A l'intérieur du projet, la valeur opère comme une préférence et une référence. Problème difficile et complexe. Cependant, il faut esquisser un profil de société. Puis appeler un projet de société alternatif, relatif à des valeurs maîtresses qui font défaut cruellement aujourd'hui à la société. II faut d'abord proclamer la volonté ferme de changement. Ensuite, une évaluation lucide de la situation présente, et enfin des propositions claires fiables. La volonté doit pouvoir inscrire dans les faits la rupture avec le passé. Il semble qu'il n'y en ait pas deux. Il en faut un qui responsabilise. La responsabilité semble être la première des vertus maîtresses à restituer aux Algériens, appelant donc des structures qui responsabilisent à tous tes niveaux tous les acteurs du vivre collectif et indirectement tous les partenaires du système éducatif. Quelle forme, quelles structures, quelle mission et quel rôle assigner à l'Etat pour qu'il responsabilise le citoyen ? Ce n'est certainement pas l'Etat fortement centraliste comme on le voit aujourd'hui, dirigiste, autoritaire, soumis à un parti unique (l'alliance présidentielle), omnipotent, omniscient. Si le pouvoir a promis à contrecœur le multipartisme, cela n'est pas encore suffisant. Le multipartisme n'est pas encore la démocratie, c'est un début peut-être ; il y a des régimes où le pluralisme des partis coexiste avec la dictature, comme au Maroc ou en Tunisie. Le système du parti unique, nouvelle version, ou de la dictature se perpétue encore à travers les hommes qu'il a formés, a mis en place, qui n'entendent pas se convertir au principe de la démocratie. Multipartisme ne veut donc pas dire automatiquement démocratie. Autre chose est proclamée le multipartisme, autre chose est la démocratie réelle. Les vrais démocrates doivent rester vigilants. «Le pouvoir est toujours au bout du fusil ». Albert Bourgi rétorque avec Abraham Lincoln: « Un bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil ». Seul un Etat réellement respectueux des droits et des libertés peut amener les citoyens dans la voie de la prise de responsabilité. Qui dit liberté, dit responsabilité. Mais attention ! Les droits de l'homme par eux-mêmes ne sont pas une politique, mais un cadre dynamique dans lequel évoluent les sociétés démocratiques. Il resterait à affronter la question d'une société juste, égale et libre, liée au problème concret de l'organisation politique de la collectivité. Cette organisation politique qui responsabilise doit inscrire en son cœur le consensus sur le pluralisme fondé sur trois règles : l'existence de plusieurs groupes ou parties organisés et concurrentiels les uns par rapport aux autres ; les électeurs doivent pourvoir choisir entre plusieurs alternatives ; et la minorité doit avoir la garantie qu'à son tour elle peut devenir la majorité grâce à l'organisation d'élections libres. Le principe fondamental d'une démocratie minimale étant le principe de prise de responsabilité par la garantie donnée pour une participation la plus large possible de la majorité des citoyens à la prise de décisions qui affectent l'ensemble de la société. Il est donc mis ici en avant le principe d'une démocratie participative et celui d'une prise de responsabilité. Cette participation peut être directe ou indirecte. D'où les deux principes de participation et de représentation: C'est-à-dire, au lieu d'une hégémonie au profit d'un homme ou d'un groupe, d'un clan, d'une région, d'une zaouïa, ici la participation de la majorité à tous les niveaux des décisions vitales pour le pays fait jouer le rôle de courroie de transmission entre l'Etat et les citoyens aux organisations de masse, associations diverses, syndicats... Il faut noter avec pertinence que dans un système de parti-Etat, le président-chef du parti une fois écarté, c'est l'ensemble des institutions qui disparaît avec lui et l'on découvre alors que loin d'être l'architecte de l'Etat et des institutions, le parti unique nouvelle version a pour seule fonction d'asseoir et de renforcer le pouvoir d'un homme ou d'un groupe d'individus. Or aujourd'hui, le peuple aspire enfin à une citoyenneté participative à tous les niveaux .Chose qui n'est pas du tout impossible, Il suffit d'une vraie volonté politique pour passer d'une réconciliation nationale factice à une culture de paix voulue et souhaitée par tout un peuple. L'Algérie connaît la disparition de l'autorité de l'Etat, des institutions qui l'accompagnent, du respect des lois de la République et de la Constitution, etc. Au profit du Dieu Argent. Il faut donc reconstruire. Il faut lui donner des structures de responsabilités sur les décombres d'un héritage fait de mensonges bureaucratiques, de sous-développement, de corruption, de non-respect des droits de l'homme, de gabegie, de régionalisme et de tribalisme. N'a-t-il (le pouvoir) pas négocié avec les arouch ? N'a-t-il (le pouvoir) pas signé un pacte de non-violence entre les Arabes et le M'zab?). Ce genre de pacte est antinomique avec les principes républicains basés sur les lois de la République et rien d'autre. Nous ne devons pas suivre l'exemple de l'Irak qui se trouve déchiré dans une guerre ethnique, les chiites d'une part et les sunnites de l'autre. Le peuple palestinien se trouve lui aussi otage d'un conflit entre le Hamas, otage des baathistes (Syrie) et des chiites (Iran) et le Fatah, otage des wahhabites (Arabie Saoudite) d'une part et d'El-Azhar (Egypte) de l'autre. Cette Palestine ne trouvera pas la paix tant que le conflit du leadership ne sera pas banni du jargon de ce «monde arabe». - Ceci est une autre histoire: au risque de sortir du sujet de notre article, on s'arrêtera là -. Nous n'avons pas besoin d'hommes forts. On a besoin d'institutions fortes. Déclaration faite par un jeune président très fort de par les institutions qu'il représente. Il est écouté non pas qu'il est beau et jeune, mais parce qu'il craint ; sa force réside dans son élection démocratique et la force des institutions de l'Etat américain. Ces structures fortes sont traduisibles dans un projet politique qui privilégie les valeurs de prise de responsabilité par l'Etat d'abord, ensuite par les wilayas, les daïras et les collectivités de base. Des structures souples d'un Etat décentralisé qui se constitue en partenaire des divers groupes. La loi détermine les responsabilités des diverses instances à tous les niveaux et secteurs. L'Etat ne se dessaisit pas de ses fonctions et missions régaliennes : défense de tout le territoire, de la politique extérieure du pays, éducation, etc. Mais si ces structures issues d'une décentralisation conduisent à une grande responsabilisation, celle-ci devra se traduire d'abord dans le domaine éducatif : les régions et les collectivités locales doivent assumer pleinement, à leur niveau, les responsabilités qui leur incombent, dans les limites déterminées par la loi. Les valeurs de responsabilité, de liberté, de solidarité entre les régions, entre les individus, de compétence dans le savoir et le savoir-faire, de refus d'inégalités injustes. Les valeurs éthiques, en effet, sont importantes, car le développement s'associe à une certaine rationalité et à un effort qui vise les finalités à atteindre en suivant ce que la raison commande en nous. C'est à partir de ces valeurs qui appellent une véritable conversion des acteurs algériens, que doit s'opérer la rupture avec le passé et doit s'instaurer une stratégie de changement. Un véritable projet éducatif doit se dessiner à partir et autour de ces valeurs. En conclusion, tout porte à croire que le pouvoir politique et son bras pédagogique (l'école) se gardent bien de braquer trop crûment les projecteurs sur les responsabilités du pouvoir économique dans la souffrance vécue par une majorité de citoyens. Un pouvoir économique qui, de son côté, n'a plus besoin d'une élévation du nombre de jeunes hautement qualifiés, vu la nouvelle dualisation du marché du travail. Un pouvoir qui aurait tout à perdre d'une génération de citoyens hautement instruits, critiques, sensibles à toutes les formes d'aliénation et d'oppression, capables de s'exprimer et de s'organiser collectivement et déterminés à changer le monde. Ceci explique certainement cela : un abandon à peine voilé des objectifs démocratiques et républicains de l'école. Il nous appartient dès lors de résister et de promouvoir une autre Ecole républicaine, unique possible, pour une autre Algérie possible. Sur le plan des politiques éducatives, il est urgent d'initier un débat de fond sur la philosophie même de l'éducation dans notre société: l'école est trop souvent reléguée au rôle de pourvoyeur de main-d'œuvre diversifiée pour un marché du travail imprévisible et dualisé. Former des citoyens critiques ne se réduit pas à apprendre à lire et à calculer, ou à inculquer un peu d'esprit d'entreprise et de flexibilité. L'école ne doit pas reproduire les conditions de survie de la société existante mais, au contraire, former les acteurs d'un changement de société toujours plus urgent. Concrètement, cela passe par la réalisation de réformes comme celles préconisées dans l'article : Approche par compétences, fausse solution pour un vrai problème (in journal quotidien d'Oran du 20/02/2010). En particulier, il faut combattre la ségrégation sociale dans l'enseignement en éliminant «les classes d'excellence»; revoir les programmes d'enseignement afin d'y introduire davantage de rigueur, de clarté ; laisser une plus grande liberté aux enseignants (éviter la bureaucratisation de ce métier) sur le plan des pratiques pédagogiques, tout en étant plus directifs sur le plan des contenus (ils doivent en particulier garantir l'acquisition d'un corpus commun de connaissances jugées indispensables au citoyen critique du troisième millénaire); prévoir le contrôle de ces connaissances par des évaluations centralisées. Une école de la citoyenneté sera aussi une école ouverte, où la présence des élèves ne se limitera pas aux heures de cours journaliers, mais où ceux-ci seront de véritables acteurs de la vie scolaire, dans ses dimensions domestiques et culturelles, mais aussi politiques et sociales, économiques et technologiques. C'est-à-dire l'harmonisation du curriculum réel et du curriculum scolaire. Une éducation à la citoyenneté commune à tous les élèves, en complément des cours de morale et de religion, sont les meilleurs outils d'accompagnement pour mettre en œuvre l'idée d'une «citoyenneté critique à l'école» ; il est indispensable d'introduire des matières sur la vie affective et sexuelle (contraception, égalité entre les sexes, violence faite aux enfants et aux femmes), et les assuétudes ; des modules de formation pour les enseignants; favoriser les attitudes de coopération en tant que «savoir-être» et les dynamiques collectives; intensifier les expériences positives d'éducation à la citoyenneté au sens large, y compris la lutte contre toute forme de discrimination, l'éducation au développement durable, l'éducation à l'inter-culturalité, le commerce équitable, l'éducation aux médias, la sensibilisation à l'art; des animations sur la violence. L'école est le meilleur moyen pour observer et pratiquer la démocratie. * Maître de conférences Université de Constantine