On ne peut encore habiter un logement virtuel. Autrement l'Algérie aurait réglé la crise du logement. La crise du logement est réglée en Algérie. La preuve en est offerte par les banques algériennes. Personne ne se présente à leurs guichets pour demander à bénéficier des crédits à taux bonifié entrés en vigueur depuis quelques semaines. Cette offre, destinée à financer l'acquisition de logements neufs, est très séduisante, mais elle attire peu de clients, selon plusieurs agences bancaires interrogées. Certaines n'ont enregistré aucune demande formelle en ce sens. Dans les agences immobilières non plus, on n'enregistre guère de transactions où l'achat serait financé par une banque en application de ce nouveau dispositif. Après quelques jours durant lesquels les clients ont montré un certain intérêt pour ce mode de financement, la curiosité est retombée. Et les clients ne cherchent même plus à s'informer des modalités et des conditions à remplir pour accéder au crédit. Pourquoi si peu d'engouement pour une formule aussi séduisante ? Parce que la demande de logement est devenue très faible, serait-on tenté de répondre. Les demandeurs de logements seraient peu nombreux, et suffisamment riches pour se passer du crédit. Sur le marché, pourtant, la réalité est tout autre. La pression sur le logement demeure très forte. Et le prix de l'immobilier a atteint des sommets. A Alger et dans certaines grandes villes, des catégories entières de la population se trouvent exclues, de fait, de toute idée d'acquisition de logement, car celui-ci est devenu définitivement inaccessible. Ce paradoxe s'explique par un tour de passe-passe, qui a mené le gouvernement à croire à ses propres fantaisies. Le crédit à taux bonifié est en effet applicable uniquement pour les logements nouvellement construits. On ne peut donc obtenir un crédit pour acheter un ancien logement car cela favoriserait la spéculation, dit-on. Pour le gouvernement, et à en croire ses chiffres officiels, les logements nouveaux seraient suffisamment nombreux pour satisfaire toute la demande du marché. Durant les cinq dernières années, plus d'un millions de logements ont été construits, dans le cadre du programme du président Abdelaziz Bouteflika, ont annoncé le premier ministre Ahmed Ouyahia et le ministre du logement Noureddine Moussa. Et durant le nouveau plan quinquennal, il n'y aura pas moins d'un million et demi de logements. Avec autant de logements nouvellement construits, on risque de saturer le marché. L'Algérie risque même de connaître une crise similaire à celle de l'Espagne où près de deux millions de logements, lancés en période d'euphorie, ne trouvent pas preneur en raison de la crise, ce qui a encore aggravé les difficultés du pays. L'Algérie a évidemment anticipé ce genre de crise. Elle a pris les mesures nécessaires pour s'assurer que tous les nouveaux logements trouvent preneur. D'où la recherche de nouvelles formules de financement, comme le taux d'intérêt à taux proche de zéro. Tout ce montage est cependant bâti sur une fiction. Ou un mensonge. Car l'Algérie n'a pas réalisé un million de logements durant le second mandat du président Bouteflika. Il n'est pas établi, de source indépendante, qu'elle en ait réalisé la moitié. Et durant le troisième mandat, elle risque de ne pas réaliser le tiers de ce qui est promis. La preuve de cet échec est offerte par le fameux projet ADL. Un programme d'à peine 60.000 logements, lancé depuis le premier mandat de M. Bouteflika, n'est toujours pas achevé. Certains postulants de 2001 n'ont toujours pas pris possession de leurs logements. Dans les grandes villes, le programme a connu un tel retard que des enfants, «qui devaient naître dans ces nouveaux logements, sont nés ailleurs et ont entamé leur scolarité avant d'y habiter», nous dit un «bénéficiaire». La formule du taux bonifié, entrée en vigueur en mai denier, vise donc à financer un programme fictif. L'état va immobiliser des sommes colossales pour aider des acheteurs qui n'existent pas, et financer des logements qui ne seront pas construits. Cela n'empêchera le ministère de l'habitat à afficher des statistiques flatteuses. Dommage que les Algériens ne puissent habiter les statistiques de M. Noureddine Moussa, ni trouver des emplois dans les chiffres de M. Djamel Ould Abbès. Autrement ils seraient tous logés, et auraient tous un emploi.