La révélation par des sites de presse en ligne des turpitudes supposées d'un membre du gouvernement français et de ses accointances moralement discutables avec l'héritière d'une des plus grandes fortunes françaises, est incontestablement le signe de la vitalité des nouveaux médias du Net. En France, les grands quotidiens classiques, concentrés entre les mains de quelques groupes financiers proches des sommets du pouvoir, périclitent irrésistiblement, alors que la presse en ligne, dont Mediapart est le meilleur exemple, gagne chaque jour du terrain. La situation financière fragilisée de la plupart l'atteste, l'audience des journaux d'opinion rétrécit en dépit d'importants efforts de marketing et de modernisation. Au-delà d'apparentes divergences, le contenu très convenu des journaux «classiques» et leur rôle de vecteur d'une pensée unique dominante contribuent à leur perte d'influence. Ce sentiment de presse sous contrôle est renforcé par la quasi-monopolisation des tribunes de ces journaux (et des plateaux de télévision) par un groupe très réduit de porte-parole en service commandé et d'idéologues semi-officiels. La grande concentration des médias classiques a progressivement mis l'information au service d'intérêts tout à fait identifiables. Les spécialistes des médias soulignent que cette évolution est très mal acceptée : les commentaires majoritairement critiques des lecteurs qui consultent ces journaux sur leur écran d'ordinateur en témoignent sans ambages. Nombre de journalistes de qualité, qui ne supportent plus cette inféodation et les limites mises à l'exercice de leur profession, sont passés avec armes et bagages aux médias en ligne. La liberté de ton et la capacité de renouer avec le journalisme d'investigation, au sens le plus professionnel, ont rapidement conféré à cette nouvelle presse en ligne un degré de crédibilité bien plus élevé que celui de leurs aînés. Cette situation nouvelle est insupportable pour ceux qui pensaient pouvoir éternellement monopoliser la parole publique sans jamais être contredits. On se souvient des attaques véhémentes de certains publicistes présentés comme des penseurs contre Internet, coupables de les empêcher de manipuler impunément l'opinion. Le scandale Bettencourt-Woerth est l'occasion d'attaques extraordinairement virulentes de certains milieux politiques contre les médias du Web chargés de tous les maux. Faisant mine d'ignorer que les journaux en ligne sont de véritables organes de presse et sont encadrés strictement par les mêmes droits et devoirs que la presse papier, les politiques n'hésitent pas à clouer au pilori des journalistes qui ne font que leur métier sur un support différent. Dans cette affaire et au-delà du pays concerné, les médias du Web rappellent que la démocratie n'est pas un état figé, ou, dans un langage qui nous est plus familier, «un acquis irréversible». Lorsque l'un des contre-pouvoirs fondamentaux, la liberté de la presse, est mis en cause, c'est l'intégrité même du système qui est en jeu. En l'occurrence, Internet, avec tous ses excès, se confirme comme un formidable univers d'expression démocratique ouvert à tous les vents et très difficile à bâillonner. Les réactions outrancières de ceux qui voudraient diaboliser la presse du Web et mettre Internet sous l'éteignoir ne sont donc que la manifestation d'un combat douteux pour une cause qui l'est tout autant.