Le président pakistanais Asif Ali Zardari continue sa tournée européenne en dépit de la gravité de la situation créée par les plus graves inondations que le pays ait connues depuis plus de vingt ans. La catastrophe naturelle a déjà coûté la vie à plus de mille cinq cents personnes et affecte des millions d'habitants, dont des centaines de milliers restent hors d'atteinte des secours. Les pluies torrentielles qui s'abattent gênent considérablement les secours et contribuent à rendre encore plus difficile l'organisation de l'aide d'urgence. Beaucoup de voix s'élèvent au Pakistan pour déplorer que le chef de l'Etat, plutôt que de regagner le pays pour assurer la coordination des secours, ait préféré maintenir son programme de rencontres avec des dirigeants européens. Les critiques sont d'autant plus amères que l'un d'entre eux, le Premier ministre britannique David Cameron, n'a pas pris de gants pour accuser le Pakistan «d'exporter le terrorisme» et de dénoncer le «double jeu» des services secrets pakistanais, le fameux ISI, dans le conflit en Afghanistan. L'attaque du chef du gouvernement britannique a été d'autant plus mal ressentie que la déclaration a été faite dans la capitale du frère ennemi indien. Les dirigeants d'Islamabad, qui ont multiplié les concessions aux Occidentaux, ont l'impression d'être au mieux incompris, au pire encerclés. Pris entre le marteau de la subversion et l'enclume américaine, beaucoup de Pakistanais estiment que leur pays est pris en otage par la stratégie américaine. Le président Obama et ses conseillers considèrent les zones tribales du Waziristan, frontalières de l'Afghanistan, comme faisant partie du théâtre d'opération de la guerre contre les talibans. Les incursions de militaires de la coalition occidentale et les bombardements effectués par les avions sans pilote de la CIA nourrissent le ressentiment de larges couches de la population et accentuent l'instabilité d'un pays aux fragiles équilibres. Le président Zardari et les élites militaro-civiles qui forment la réalité du pouvoir pakistanais sont très inquiets de la tournure des événements sur le terrain afghan et des répercussions dans leur propre pays. Dans une interview au journal suisse Le Temps, le chef de l'Etat pakistanais va jusqu'à affirmer que «la communauté internationale perd la guerre contre les talibans». Selon l'homme politique pakistanais, l'échec occidental est essentiellement imputable à l'impossibilité de gagner «les cœurs et les esprits» des Afghans, qui n'enregistrent aucune amélioration de leur situation socio-économique. La sortie d'Asif Ali Zardari a suscité une réaction courroucée du porte-parole de la Maison-Blanche. Lors de son point de presse quotidien, Robert Gibbs a déclaré qu'«il ne pensait pas que le Président (Obama) soit d'accord avec les conclusions du président Zardari selon lesquelles la guerre est perdue». Les responsables pakistanais, qui connaissent intimement la réalité du conflit afghan, sont ainsi le dos au mur. La victoire est hors de portée des Occidentaux, qui ont cependant les moyens d'empêcher le retour au pouvoir des talibans. C'est probablement ce qui faisait dire au secrétaire général de l'Otan, le Danois Rasmussen, que la guerre en Afghanistan pouvait durer très longtemps. Cet équilibre sur le fil du rasoir est épuisant pour les voisins de l'Afghanistan, dont le plus fragile est sans conteste le Pakistan. Malgré tout, Asif Ali Zardari a donc choisi de continuer sa tournée d'explications. Le pays dévasté par la mousson est bien dans l'œil d'un cyclone politique autrement plus ravageur.