Aujourd'hui, on en trouve de tous les genres : les jeunes effervescents, les barbus terribles qui font peur aux innocences, les affreusement méchants au regard de névrosés, les souriants comme des drogués, les vieux trop parfaits, les érudits et les sincères. Qui ? Les chouyoukhs cathodiques. Durant le ramadan, ils forment une sorte d'armée en désordre de satellites qui pénètrent les foyers algériens mieux que ne l'a fait le FIS. A les suivre, on est tantôt tenté par le rire, l'effroi ou la colère, car la thématique du religieux sert à tout et même au ridicule : entendu par le chroniqueur, des prêches sur les abeilles et les versets, d'autres sur le concubinage à l'époque dite d'El Jahiliya, des leçons sur les planètes et leurs prénoms ou les herbes selon le Coran lu selon soi. La religion étant comme la presse -attirant d'énormes névroses- les plateaux des chaînes religieuses tombés du ciel à partir des gros budgets moyen-orientaux, servent aux Algériens un peu de tout et selon les stéréotypes de cet univers violent et démodé : voix mielleuses ou voulus sévères, convocations des clichés sur les races, les mythes les plus absurdes, quelques affirmations éhontées sur le monde des médecines et des découvertes scientifiques, des redondances sur l'astronomie, des mimes de philosophes et des fatwa risibles sur les épilations les plus inattendues. Parfois le plateau est peuplé de quelques guendouzes, faux disciples chargés d'assurer la repartie et d'acquiescer avec ébahissement ou l'étonnement des apôtres. Le plus souvent, la «séance» est animée aussi par des appels téléphoniques de fidèles en désarroi, de croyants ou de couples en difficultés et c'est là le sujet de la chronique : l'indice de la grosse sous culture des pays musulmans et qui se révèle lors de ces prêches et des névroses décryptables dans les questions que posent les interlocuteurs. Non pas qu'il s'agit de personnes idiotes ou crédules, mais d'une sorte de baromètre sur la véritable culture populaire des peuples musulmans d'aujourd'hui : archaïsmes incroyables, psychoses, incompréhensions, sourdes souffrances sans issues, clichés, préjugés monstrueux etc. De la Mauritanie à l'Irak, il s'agit presque de la même sous culture devenue une sorte de preuve de Moyen-âge religieux du présent, avec les mêmes signes : irrationalités, magies, peurs, angoisses, violences sur soi, puritanismes malheureux, déni du corps, misères sexuelles, le tout mêlé à quelques exégèses invraisemblables du Coran et à des références à l'immense galaxie des hadiths peu vérifiés, source et matrice des islamismes populaires. Et c'est en écoutant ces «audiotel» de la fatwa et de la guérison miraculeuse que l'on mesure que les gros programmes panarabistes des scolarités de masse n'ont rien fait en quatre décennies d'indépendance. Ni eux, ni les ministres, ni les écrivains, ni les programmes de réformes, ni les élites progressistes, ni les politiques d'éducation. Aujourd'hui, les peuples que l'on a sous la main sont des populations de «fidèles» que n'importe quelle barbe peut mener à la guerre comme au fétichisme des artefacts ou à l'extase ou à la crise d'hystérie. Ces séances se révèlent encore plus terribles lorsqu'on constate que ce sont en majorité les femmes musulmanes, enfermées, sous cultivées et réduites à l'analphabétisme qui y recourent pour guérir leur souffrance. Avec la télé et le satellite, le lien est donc fait entre le foyer et le prêche, ce que même les partis islamistes les plus puissants n'ont pas réussi à l'époque de leurs gloires. Et en face, certains Etats, comme l'Algérie, peinent encore à former un imam, à installer un contre-discours ou des contre-médias, laissant les commandes des croyances à ce genre de Cheikhs payés ailleurs et pour des raisons qui dépassent de loin l'impact du moment. Qu'en ressent-on ? De la peine et l'envie de pleurer sur l'avenir de ses propres enfants. Dans un étrange noeud du temps et des calendriers messianiques des premiers arabes guerriers, c'est véritablement une Jahiliya Bis qui nous est promise et que l'on voit se construire déjà sous nos yeux. Les peuples de la planète d'Allah s'abêtissent à vue d'œil au nom de Dieu, de son Livre et de quelques satellites.