Vous voulez devenir célèbre ? Prenez un Dieu, un livre sacré, une allumette et une caméra. Si vous êtes évangéliste, brûlez un Coran, si vous êtes djihadiste, brûlez un touriste. Dans une sorte de curieux réglages de la cosmogonie Galilée, la terre tourne certes, mais autour d'une église ou d'une mosquée. Pas autour du soleil : échec retentissant des «lumières» et des évidences rationalistes même après les premiers pas sur la lune. Nous y sommes tous revenus au Moyen Âge. Pour les habitants de la planète d'Allah, l'Occident se résume, ces jours-ci, au pasteur Terry Johnes qui a lancé la mode du briquet qui enflamme le monde. D'autres suivent déjà ces premiers sur cette piste facilitée par les dernières guerres. D'où cette question du jour : qu'est-ce que l'Occident pour les musulmans aujourd'hui ? Bien sûr, le sujet est si vaste qu'on ne peut pas l'épuiser dans un billet. Restent donc des formules lapidaires pour lancer la réflexion : autant l'Orient a été une invention de la libido, de la peur, de l'ennui, de la machine à vapeur et des romantiques de l'Occident, autant l'Occident est aujourd'hui une réinvention théologique des islamistes. Malgré Obama, le vaccin, les demandes de visas et les modèles évidents de démocraties, l'Occident reste l'Occident «chez nous» : un endroit qui se trouve à gauche d'Allah, là où le soleil disparaît, autant que la piste de Dieu, que les valeurs traditionnelles, «la décence morale» et les interdits sexuels. Les sociologues expliquent qu'il y a eu l'Occident vu par les intellectuels du «Sud» (fascinant mais décevant), l'Occident des rationalistes du «Sud» (inventeur de la machine et de la puissance mécanique) et l'Occident des religieux du «Sud». C'est ce dernier qui a été retenu pour sous-titrer le 21e siècle. Même quand ils s'y établissent et y vivent, les islamistes ne vivent pas en Occident mais un peu contre lui, chez lui. L'Occident est donc le nouveau fantasme religieux des djihadistes mais aussi de l'opinion musulmane en règle générale. Il n'est pas accepté, mais subi ou refusé. L'Occident n'est pas l'incarnation du colon chassé par les décolonisations, ni même la preuve d'un impérialisme voleur de ressources et biens, ni la preuve de la culpabilité universelle de l'Occident vu le nombre des morts qu'il a laissé derrière lui à chaque virage. C'est un autre Occident, religieux, qui est là, vendu et emballé depuis peu. Il a été fabriqué par El-Qaïda, les échecs des nationalismes, les frustrations individuelles et collectives, Bush et le pasteur de Floride, mais aussi par d'anciens messianismes, plus anciens que les séquelles des croisades : c'est une terre SANS DIEU et où Dieu n'a pas le bon prénom. C'est donc un mensonge et une myopie de faire circuler l'idée que les islamistes n'en veulent pas à l'Occident. Ils l'ont réinventé pour mieux le tuer ou le convertir. C'est l'idée de base qui ira servir et nourrir les islamophobies qui agitent l'opinion occidentale et masquent ce qui se passe ici, chez nous, au nom de la religion ou de la guerre contre «notre» religion. Et c'est une myopie que de confondre le procès d'un certain Occident prédateur, injuste ou non équitable, avec le procès qu'en font les islamistes pour conclure que c'est un même combat. L'islamisme ne veut pas changer l'Occident pour qu'il soit plus juste avec les autres peuples, il veut le convertir ou le détruire. Cela est une évidence et il faut la dire même si elle va servir, directement, les extrémistes de l'autre bord. Car l'Occident reste encore, et toujours, le seul endroit où la valeur humaine a pu s'incarner, avec béquilles et faiblesses, dans les actes des hommes ou de leurs sociétés. C'est un endroit où la démocratie existe, même s'il elle boite ou fait semblant de ne pas manger les hommes. C'est un endroit où tous veulent vivre, même au prix de la désillusion. C'est un espace où on a réussi à faire pencher l'humanité vers l'utopie et pas vers l'anarchie. Les religieux de tout bord veulent le détruire. Ceux de chez nous et ceux de «là-bas». Il faudra donc peut-être récréer l'Occident sous nos yeux, le convaincre, le visiter, le libérer de son nombrilisme, le désarmer et lui parler, le changer ou changer à sa manière. Cela n'a rien à voir avec le projet de le détruire ou de le convertir. L'image d'un Occident théologique qui se répand de plus en plus chez nous, par faiblesse d'esprit et à cause des extrémistes de l'autre bord, est une erreur et un danger pour l'avenir. L'Occident reste mieux que la jungle ou la barbarie. C'est ce qui fait sa force et sa solitude. C'est une évidence qu'il n'est pas prudent de soutenir ici, pendant qu'on allume des briquets et les bûchers et qu'il faut cependant proclamer et défendre. Cela n'est ni de la francophilie, ni de l'islamophobie, ni de l'aliénation, ni de la servitude. Seulement un appel à regarder plus loin qu'un briquet, un livre, une caméra, une croisade ou une mission au nom de Dieu. «L'Occident théologique» dessiné par les religieux de tous bords est un appel au meurtre et une cécité sans contrepoids par les évidences. C'est une vision qui a déjà les faveurs de vastes pans de l'opinion arabe et musulmane.