Le nom de Kateb aurait-il été utilisé en effigie sur des tee-shirts revendus à la pièce ? Le nom de Kateb aurait-il été employé à vanter les mérites de quelque produit d'alimentation ou calligraphié sur tel ou tel emballage de luxe ? Le nom de Kateb aurait-il servi d'enseigne à quelque librairie ou à quelque collège d'enseignement privé ? Le nom de l'auteur de Nedjma aurait-il servi à certifier les performances de communication de tel opérateur de téléphonie mobile ? Le nom de l'auteur de La Guerre de deux mille ans aurait-il été détourné par quelque groupe activiste prônant le djihad contre les «non-jeûneurs» ? Le nom du créateur de Mohamed, prends ta valise, aurait-il figuré sur les faux passeports de quelques harraga en partance pour un inaccessible eldorado d'outre-mer ? Le nom de l'auteur de Nos ancêtres redoublent de férocité aurait-il servi à «redoubler» les plus-values de quelques entreprises de tourisme culturel sévissant dans le triangle «Souk-Ahras/Guelma/Annaba» ? Si à l'une (et une seule) de ces questions la réponse était «oui», alors on comprendrait la démarche de ces 70 pétitionnaires appelant à l'interdiction de toute exploitation «commerciale» du nom qu'ils ou qu'elles partagent avec notre Yacine national. Si, par contre, à toutes ces questions la réponse est «non», je ne vois personnellement pas quelle mouche aurait piqué ces pétitionnaires d'un nouveau genre. Surtout que, de notoriété publique dans le fameux triangle de l'Est algérien, nombre de ces mêmes pétitionnaires kebloutistes restent connus pour avoir, du temps de la jeunesse trépidante de l'écrivain, fustigé sans merci ses menées subversives autant que sa mécréance ! Cela dit, on peut se demander, en effet, pourquoi un tel colloque est-il organisé par une «Association Promotion, Tourisme et Action culturelle» et non par l'Université elle-même. Comme on peut déplorer que pour le choix des intervenant(e)s, les organisateurs continuent à se passer des universitaires de renom : il y en avait bien trois ou quatre nationaux l'an dernier, mais s'agissant des «chercheurs» de l'étranger (hors Maghreb), on se contente d'une poignée de doctorant(e)s, venu(e)s exposer leurs analyses de textes, ou de vieux routards qui ne font plus que dans le recyclage de communications datant des années 80. Or, pour trouver des études originales et pointues sur les auteurs algériens, il ne faudrait plus se contenter de la sphère francophone : on gagnerait à aller voir ce qui s'écrit et se dit du côté des universités anglo-saxonnes, et particulièrement américaines. On me dit : oui, mais cela demanderait des moyens et des finances que la structure invitante n'a pas. C'est ignorer qu'en matière d'organisation de colloques, la tradition universitaire consiste à faire prendre en charge les transports de l'intervenant(e) par sa propre université ! Comme les autres universités d'Europe et d'Amérique, les universités marocaines et tunisiennes ont fini, semble-t-il, par se plier à cette tradition. Alors, pourquoi certaines structures algériennes (pas toujours universitaires) seraient-elles les seules à se croire encore obligées de payer les billets d'avion à des intervenants (je parle des enseignants universitaires), pour qui, du reste, toute communication «scientifique» assurée à l'étranger est un «plus» pour leur propre carrière ? Pour revenir à ces nouveaux amateurs d'«armes-à-pétitions», pour qui et pour quoi roulent-ils ? Pour la dignité des Keblout ou pour la mémoire de Yacine ? S'ils veulent nous faire croire à la seconde hypothèse, je me permets de les rappeler au «bon souvenir» de ces années de plomb où nombre d'entre eux se bouchaient de «honte» les oreilles et les yeux à chaque sortie subversive de l'écrivain. Comme je les rappellerai au triste souvenir de ce jour où ils ont, sans réagir, laissé un obscur président de l'APC de Guelma gifler l'écrivain : ce jour-là, où étaient-ils nos pétitionnaires, du moins leurs pères ou leurs oncles, qui s'autoproclament aujourd'hui propriétaires du nom de Kateb Yacine et soucieux de la dignité des Keblout ? Oui, de quoi Kateb est-il le nom ? Si ce n'est de la dignité de tous les hommes et de toutes les femmes de ce pays auquel il a voué sa vie et son œuvre comme jamais aucun écrivain ni aucun intellectuel de ce pays ne l'aura fait. Oui, «Kateb» est le nom singulier d'un patrimoine national, voire universel, si au sens d'«universel» on entend le peuple dans toutes ses composantes, en genre comme en nombre Singulier n'est pas pluriel, faut-il rappeler. Autant dire que «Kateb» ne saurait être le nom d'une poignée de nostalgiques d'un kebloutisme suranné, de ce tribalisme rétrograde que Yacine lui-même n'avait cessé de dénoncer et de flétrir. *Ecrivain algérien de France. Derniers ouvrages : Abd er-Rahman contre Charles Martel. La véritable histoire de la bataille de Poitiers, Ed. Perrin, 2010 ; Dictionnaire des mots français d'origine arabe (et turque et persane), Ed. du Seuil, 2007.