Une étude franco-américaine réalisée en France montrerait que les enfants d'immigrés musulmans d'origine sénégalaise percevraient un salaire en moyenne inférieur de 15% à celui des enfants d'immigrés chrétiens d'origine sénégalaise. Les quotidiens qui présentent les conclusions de l'enquête n'en donnent pas, hélas, les auteurs ni le mode opératoire. Il est donc difficile d'en juger la fiabilité et la validité. Il n'en demeure pas moins pour autant que cette étude a été menée avec un minimum de rigueur académique, qu'elle étaye un sentiment d'islamophobie de plus en plus perceptible en France et en Europe. La lutte idéologique contre l'islamisme radical a permis l'expression quasi officielle d'une islamophobie médiatique qui ne s'embarrasse d'aucun souci d'éthique ou de différenciation. Sur les chaînes de télévision, publiques ou privées, l'amalgame est de rigueur et depuis des années l'opinion est matraquée par une propagande parfaitement décrite par l'universitaire Thomas Deltombe dans «L'Islam imaginaire», l'essai qui l'a rendu célèbre. En France, pays où le racisme est un délit puni par la loi, l'islamophobie est un vecteur commode pour énoncer publiquement des thèses essentialistes derrière des préoccupations «identitaires», où laïcité et féminisme sont convoqués pour stigmatiser des citoyens de couleur ou de religion différentes. Les variations de niveaux de salaires qui pénalisent les musulmans ne sont à ces égards que l'un des aspects de l'inquiétante progression de l'islamophobie. Les lois électoralistes contre le foulard ou la burqa, phénomène extrêmement marginal, en sont des indicateurs éloquents. La crise économique joue certainement un rôle important dans l'élargissement du discours et des pratiques racistes. Les populations d'origine étrangère originaires d'Afrique et du Maghreb forment le gros des couches sociales défavorisées et des exclus de la prospérité. Ces populations, rejetées des centres-villes, ne bénéficient pas des mêmes conditions que celles des Européens de souche dans l'organisation hiérarchique de l'espace urbain. Au fil de la crise économique et de la situation au Moyen-Orient, enjeu sous-jacent mais omniprésent, l'apartheid économique se transforme progressivement en apartheid socioculturel. Dans ce contexte où les musulmans sont invités à raser les murs et à faire profil bas, les seuls à être encouragés par la xénophobie sont précisément les extrémistes, qui trouvent un terreau fertile dans une jeunesse marginalisée. L'ascenseur social ayant depuis longtemps cessé de fonctionner, les jeunes de banlieue, français depuis plusieurs générations, restent à «assimiler». Et ils le sont d'autant plus difficilement que tout semble se liguer contre eux. La «sympathie» pour une religion semblable, excipée par les auteurs de l'enquête pour justifier la préférence «chrétienne» lors de l'examen des demandes d'emplois, traduit la structuration des mécaniques d'exclusion fondées sur l'appartenance supposée à une religion représentée comme une menace. Le mur de verre, cet obstacle infranchissable, est de moins en moins invisible. Dans une Europe déboussolée par ses crises et l'amplification de ses fractures sociales, l'altérité d'apparence et de religion est un moyen commode pour les démagogues et les populistes d'offrir une cible sans défense. La «guerre des civilisations» est ainsi avant tout la confrontation des Européens avec eux-mêmes, et avec un passé tourmenté, nié ou occulté, mais sur lequel l'Histoire insiste lourdement.