La révolution libyenne, en dépit des écrits alarmistes, n'a pas un impact massif sur les prix du pétrole. Dans les régions libérées du joug de Kadhafi, on assiste déjà à un début de reprise des activités pétrolières. Les marchés c'est rassurant pour les révoltés libyens semblent parier sur une fin rapide de l'obstacle Kadhafi. Ils s'inquiètent, plus sérieusement, des premiers signes de contestation chez le géant saoudien. La prise de contrôle des gisements des principaux ports d'exportation de pétrole situés en Cyrénaïque par les insurgés libyens et le départ de très nombreux techniciens étrangers n'inquiète pas vraiment les opérateurs pétroliers internationaux. La Libye dont la production compte pour 2% de la production mondiale traverse une période de turbulences qui devrait s'achever par le départ de Mouammar Kadhafi et de son clan, rejeté par la population et unanimement condamné par l'opinion internationale. Sur le terrain, après une période de flottement, la dernière cargaison de pétrole à avoir quitté l'est de la Libye remonte au samedi 19 février, les activités semblent se normaliser. Hassan Bulifa, membre du comité de direction de la compagnie libyenne Arabian Gulf Oil (AGO), située à l'est du pays contrôlé par les rebelles au régime Kadhafi, a déclaré au Wall Street Journal dimanche que les expéditions de pétrole étaient sur le point de reprendre. Un pétrolier transportant 700.000 barils de pétrole devait ainsi quitter le port de Tobrouk (nord-est de la Libye) dans la nuit de dimanche à lundi, probablement à destination de la Chine, a indiqué, un membre du comité de direction de la compagnie, au quotidien économique américain. L'entreprise AGO est gérée par des cadres de la compagnie sympathisants de la révolution libyenne depuis la démission de son président, Abdulwanis Saad, un fidèle du Guide. Reprise des exportations La reprise des exportations par AGO intervient dans un contexte de désordre et de repli de certaines compagnies en Libye. Ainsi la compagnie pétrolière d'Etat chinoise, China National Petroleum Corp (CNPC), dont certaines des installations auraient été attaquées, a annoncé lundi avoir suspendu sa production en Libye et évacué tous ses employés. L'italienne ENI, premier producteur étranger en Libye, a annoncé la réduction de sa production de plus de 50% à 120.000 barils par jour. Total a indiqué avoir également «commencé à suspendre» une partie de sa production en Libye. De même, le groupe allemand Wintershall a stoppé l'exploitation de pétrole en Libye, où il produisait environ 100.000 barils par jour, «pour des raisons de sécurité». Le groupe pétrolier espagnol Repsol a maintenu la moitié de sa production en Libye. Les marchés semblent rassurés par les déclarations de l'Opep qui tout en démentant tout risque de rupture d'approvisionnement pour le moment, souligne que les autres producteurs sont prêts à agir en cas de besoin. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que de 500.000 à 750.000 barils par jours de brut, soit moins de 1% de la consommation mondiale quotidienne, ont jusqu'à présent été retirés du marché en raison des violences en Libye. De fait, sur les marchés ce lundi le cours du pétrole continue son mouvement modérément haussier le baril de Light Sweet Crude» progressant de 1, 66 dollars pour atteindre 99,54 dollars alors que le Brent s'échangeait à 113, 42 dollars USD. La tendance observée en fin de semaine dernière se confirme sans connaître d'accélération notable. Vendredi dernier sur le marché de New York, le baril de «Light Sweet Crude» livrable en avril avait clôturé à 97,88 dollars, soit une hausse de 60 cents par rapport à la veille alors qu'à Londres, le baril de Brent de la mer du Nord également livrable s'échangeait en fin de séance à 112, 14 dollars, soit une progression de 78 cents. Inquiétudes pour l'Arabie Saoudite Si les marchés restent globalement sereins face aux événements en Libye, ils ne manquent pas de manifester leur inquiétude quant aux risques de contagion révolutionnaire sur des producteurs beaucoup plus importants que la Libye. Et en tête de liste des pays susceptibles d'être balayés à leur tour par le souffle de la révolte de la jeunesse arabe figure l'Arabie Saoudite La bourse de Ryadh, déjà déprimée depuis plusieurs semaines, a chuté de 5% dimanche dernier après la publication d'une lettre ouverte au Roi d'Arabie Saoudite signée par 119 universitaires, militants et hommes d'affaires qui réclament la mise en œuvre urgente d'un programme de réformes politiques et sociales. La lettre au roi déplore la corruption, le népotisme et la fracture entre l'Etat et la société. Un site du réseau social Facebook appelant à une «journée de colère» le 11 mars dans toutes les villes d'Arabie saoudite le 11 mars a vu son nombre d'abonnés augmenter de 400 à 12 000 ces derniers jours. Les spécialistes de ce pays essentiel pour l'approvisionnement et la régulation du marché pétrolier global s'inquiètent de la situation de la jeunesse du pays. Deux tiers de la population saoudienne est âgé de moins de 30 ans, le chômage des jeunes est environ trois fois la moyenne nationale et la durée d'attente pour l'obtention d'un logement social est de 18 ans. Le Royaume pourrait être confronté au même défi générationnel que celui observé en Egypte, en Tunisie et ailleurs dans le monde arabe. Les opérateurs suivent avec attention ce qui se passe en Arabie Saoudite car ce pays n'est pas seulement le principal producteur, avec - de loin - les plus importantes réserves. L'Arabie Saoudite est surtout un «swing producer», un producteur d'appoint ou de substitution, de l'OPEP, c'est-à-dire un des rares pays qui dispose de la capacité de production additionnelle la plus importante. La capacité additionnelle de l'Arabie Saoudite est de 4,7 millions de barils jours permettant à ce pays de compenser plusieurs fois les exports de la Libye estimés à 1,5 millions de barils/jour. Même si une révolution n'est pas une hypothèse forte en Arabie Saoudite, l'imprévisibilité des mouvements qui se sont déclenchés dans le monde arabe incite à la prudence. Il est vrai que si des troubles éclataient en Arabie Saoudite, l'impact serait considérable. A l'aune du géant pétrolier, l'impact de la Libye est plutôt modéré.