Au prétexte de célébrer le 34e anniversaire du «gouvernement du peuple», le colonel Mouammar Kadhafi s'est livré à une nouvelle mascarade, rythmée par les applaudissements mécaniques et les slogans insipides d'applaudisseurs professionnels. Il a encore répété, parlant de lui-même à la troisième personne, qu'il n'était qu'une autorité «morale», une référence, un symbole, mais que le pouvoir réel était entre les mains du peuple. Cela fait des décennies que les Libyens subissent une plaisanterie qui ne fait plus rire personne. La farce, cette fois-ci, alors que les Libyens se sont insurgés contre son pouvoir, celui de ses fils et de son clan, prend une tournure grotesque. Il reste à décrypter et ce n'est pas difficile les lourdes menaces derrière ces nouvelles pitreries. M. Kadhafi lui-même ne croit pas à la fadaise qui voudrait qu'il ne soit qu'un symbole et non le centre du pouvoir. En réalité, le fait de n'être ni président, ni chef de gouvernement, mais néanmoins chef de toutes les structures armées et recours de tous les organismes, ne fait que conforter son règne absolu fondé sur une irresponsabilité absolue. M. Kadhafi règne en autocrate sous couvert de gouvernement du peuple. Et quand ses politiques échouent, il s'en lave les mains en attribuant au peuple ses propres turpitudes. C'est le summum du mépris, une roublardise grossière qui ne fonctionne que par la terreur. Au moment même où Kadhafi discourait devant une maigre galerie triée et badgée par sa garde rapprochée, à Benghazi, des Libyens «normaux», qui l'ont déjà expulsé de leur avenir, portaient une pancarte avec cette mention : «En ce moment, Kadhafi ment». En fait, il a toujours menti. Mais plus gravement, le «guide» a toujours traité les Libyens par le mépris, imposant aux élites, aux notables et à la jeunesse instruite de choisir entre le silence, l'exil ou la servilité contrainte ou opportuniste. Il n'y a pas de place à la dignité sous le pouvoir quasi divin que Kadhafi s'est octroyé en feignant de se retirer sous sa kheïma. Mais hier, le colonel Kadhafi ne croyait visiblement plus vraiment en son propre discours. Il sait qu'irrémédiablement, une partie du peuple lui a arraché ce pouvoir qu'il n'a jamais cédé et auquel il s'accroche désespérément en menaçant le pays de destruction et de guerre civile. Kadhafi n'a plus rien à dire aux Libyens qui manifestent contre lui, à ceux qui l'ont chassé de leurs villes et révoqué de leur vie. Son message s'adresse surtout aux milices et aux forces qui bénéficient de son système. Quand il prétend ne pas détenir le pouvoir, il fait comprendre à ses clientèles qui profitent du système que c'est leur capacité d'émarger à la rente qui est en jeu. Son message s'adressait aussi à ses amis occidentaux en agitant la menace d'Al-Qaïda, dont les fantomatiques «cellules dormantes» seraient, selon lui, derrière la révolution en cours. Il rappelle à ses bons amis d'Occident, bénéficiaires externes de la rente, qu'il peut leur substituer des compagnies pétrolières asiatiques. M. Kadhafi n'a donc vraiment plus rien à dire aux Libyens. Son message ne s'adresse plus qu'à ceux qui profitent de son pouvoir absolu et de ses largesses. Cet homme, s'il est prêt à octroyer des concessions plus grandes aux Occidentaux, a montré qu'il n'était pas disposé à entendre le message clair et définitif du peuple libyen.