Hier, le kilogramme de sardine était à 500 dinars dans les différents marchés de la ville. Incroyable et inexplicable mercuriale d'un poisson bleu qui n'en finit plus de faire parler de lui. Ou plutôt son prix qui défie, de jour en jour, tout entendement et inscrit ce «fameux plat du pauvre» dans le menu des plats de luxe. Le comble a été atteint hier avec ces nouveaux prix que le revendeur, toujours fidèle à son cageot en bois malgré leur interdiction, vous balance à la figure sans même sourciller. Au marché d'Es-Seddikia, et vers 10h30, et malgré sa cherté, de la sardine, il n'en restait que peu. «Les Oranais raffolent de ce poisson», expliquera un revendeur, visiblement importuné par les nombreuses questions à la recherche de la vraie raison de cet état de fait. Les explications ne manquent pas et chacun y va de sa version mais tous s'accordent à dire que la rareté de la sardine est en partie responsable des prix affichés. «On est le dernier maillon de la chaîne et c'est pour cela que tous les regards sont braqués sur nous», dira, avec ses mots, un autre revendeur, plus prolixe, pour essayer de justifier la mercuriale du jour en se dédouanant sur les autres courroies de transmission qui vont du pêcheur au mandataire en passant par les incontournables spéculateurs. Pourtant, et depuis ces cinq dernières années, le prix de la sardine n'a pas cessé d'augmenter, se stabilisant autour des 300-350 dinars, atteignant parfois la barre des 400 dinars, au grand dam du consommateur qui subit, à son corps défendant, cette véritable surenchère. «Je n'achète plus la sardine depuis que son prix a augmenté», dira Salim, 44 ans, chauffeur dans une boîte privée. Dépité, il avouera quand même s'être laissé tenter par deux fois à 300 et 400 dinars le kilo rien que pour ses jumeaux. Quant au marché qui se retrouve déréglé par la volonté de certains «barons» comme on aime à les appeler, il ne répond à aucune logique connue. Ainsi, les prix sont résolument tirés vers le haut et les raisons invoquées par les professionnels de la pêche et les consommateurs de la sardine surfent sur des explications allant de la plus scientifique à la plus farfelue, et témoignent, si besoin, de tout le mal dont souffre la filière halieutique. Il n'y a pas si longtemps, certains connaisseurs du marché avaient tenu à préciser que les prix pratiqués, alors que la sardine était à 350 dinars le kilo, allaient être revus à la hausse si des mesures strictes ne sont pas prises à l'égard de certains pêcheurs qui utilisent tous les moyens pour s'enrichir au plus vite. Et c'est actuellement le cas. Parmi ces moyens décriés par les véritables professionnels de la mer, la pêche à la dynamite ainsi que le non-respect des distances réglementaires d'au moins 6 miles marins au moment de la reproduction des différentes espèces de poisson. Pourtant, les réponses à la rareté et au prix excessif de la sardine sont bien connues. Selon des spécialistes locaux, cette situation est en fait un retour de boomerang. La surexploitation d'une richesse marine et la dégradation des fonds marins, entretenues depuis longtemps, ont fini par créer un énorme déséquilibre tant pour la faune que pour la flore sous-marines. En l'espace de seulement quelques décennies, la pollution marine a gagné du terrain. Jusqu'à plusieurs miles nautiques au large, la mer est devenue une véritable poubelle pour l'homme. Déversoir des eaux usées, débris et des milliers de sachets plastiques dérivent au gré des courants marins. L'autre problème cité en relation directe avec la rareté de la sardine sur les marchés oranais concerne l'inconscience assassine et l'implacable avidité de certains pêcheurs qui ne reculent devant rien pour lui arracher plus qu'elle ne peut en donner. Raclant leurs filets de pêche à quelques centaines de mètres du rivage, les chalutiers dégradent inexorablement les fonds marins, détruisant à chaque passage toute forme de vie. Ne trouvant plus son alimentation naturelle qui consiste en du poisson fourrage, la sardine préfère chercher son bonheur ailleurs. L'utilisation de la dynamite est également au banc des accusés puisqu'on reproche à ses adeptes de transgresser la réglementation en place même si cette version n'est pas vraiment partagée par les officiels. La pêche à la dynamite est interdite, passible de fortes amendes et même de peines de prison mais certains pêcheurs ne reculent devant rien et l'utilisent lors de leurs sorties en mer, n'évaluant guère l'étendue des dégâts qu'ils causent à la faune et la flore sous-marines. C'est ainsi qu'à l'endroit de la déflagration, aucune vie ne réapparaît pendant plus d'une décennie, sans parler des pertes en poissons. Les professionnels estiment les prises à 10% seulement lors d'une pêche à la dynamite. Une pêche abusive qui décime des bancs entiers de sardines et, par conséquent, se répercute négativement sur le renouvellement de l'espèce. La diminution de 30% de la production halieutique a encore été évoquée par le ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques, Abdellah Khanafou, lors de sa visite, lundi dernier, dans la wilaya de Chlef, ce qui explique encore la rareté de la sardine.