«La guerre là-bas fabrique de la paix ici». L'un des responsables de l'édition on-line du célèbre journal britannique, The Guardian, a résumé l'une des facettes possible de la crise libyenne et de l'explication «hors-hydrocarbure» de l'intervention anglaise contre Kadhafi. Quant à la BBC, l'Algérie est un pays cible mais encore difficile d'accès. « C'est un peu comme lorsque Thatcher a lancé la guerre des Malouines pour faire oublier les crises économiques en Angleterre» expliquera Brian Whiteckar, l'un des responsables de l'édition Online du Guardian le célèbre journal anglais devenu une institution à part entière, et ancien spécialiste du Moyen-Orient pour l'édition «papier». L'aveu est qu'au Guardian, l'intervention anglaise comme acteur militaire pour la no-fly zone sous l'égide du Conseil de sécurité, provoque encore beaucoup de doutes et de scepticisme. «Tous s'inquiètent pour l'après» expliquera le journaliste. Autant les spécialistes qui ne voient pas d'issue «honorable» à l'engagement britannique dans cette drôle de guerre, que l'opinion elle-même qui s'interroge sur son coût et sa nécessité. Pour résumer, le piège est total selon notre interlocuteur : entre le traumatisme du non-interventionnisme qui mène à des cas de catastrophes humanitaires et des génocides comme le Rwanda, ou le traumatisme de l'intervention directe qui mène à des impasses comme en Irak et en Afghanistan. La formule résume un peu l'esprit général chez les journalistes à Londres. «C'est un grand débat ici et les sondages d'opinions donnent des résultats à chaque fois différents» répond Brian Whitecker. «Les gens sont inquiets à cause du précédent irakien et afghan. D'autres questions restent encore sans réponses pour l'opinion : pourquoi la Libye et pas le Bahreïn par exemple ?». Le pétrole. Notre interlocuteur sourit un peu en réaction à une explication devenue à moitié un cliché international selon lui : «Le Pétrole coulera toujours : l'embargo contre l'Iran ou les guerres en Irak n'ont jamais empêché le commerce du pétrole». Il y aurait donc aussi une explication par le besoin local de créer un effet de dérivation sur les crises internes en Angleterre ? Une possibilité, «bien que je crois que l'engagement du gouvernement soit sincère aussi». Reste que «le vent du changement» dans le monde arabe, ne convainc pas encore cette fameuse opinion anglaise dans sa totalité. «Les inquiétudes en ce qui concerne les islamistes persistent. Longtemps l'opinion a été conditionnée par l'effet écran d'El Qaïda, principal sujet de fond des médias Us par exemple et dans le monde anglo-saxon. Cette grille a fait oublier le reste» explique le journaliste qui affirme ne pas avoir été surpris, toutefois, par les «évènements» en Tunisie par exemple : «en décembre j'avais écrit un article disant qu'une telle mobilisation n'est plus un fait anodin mais quelques chose de plus profond et de plus important. La vérité était que la situation dans les pays arabes était claire : les nouvelles générations ne pouvaient pas accepter de vivre sous les mêmes contraintes que les précédentes». Le cas libyen «plombe» cependant cette dynamique. «Je ne crois pas que les bombardements vont durer longtemps là-bas. Le scénario le plus probable est celui d'une partition du pays» soutient Brian Whitecker, rejoignant l'avis des rédactions du Times, visitées la veille. Le degré de résistance de Kadhafi est proportionnel à ses moyens financiers : une cessation de paiement signifie une défaite proche. «La question est donc d'évaluer exactement cette résistance». Reste que le scepticisme au Guardian est général, plus ou moins, sur l'engagement militaire de la coalition : «je ne crois pas que les USA vont s'engager encore plus». Pour le peu d'intérêt de la presse anglaise pour le cas algérien, Brian Whitecker, répond qu'il s'agit simplement d'une cartographie mentale due à l'histoire dans la région du Maghreb. «Il s'agit aussi d'aire d'influence et de culture et de langue due à l'époque des colonisations. On a désormais des correspondants en Tunisie et en Egypte mais pas en Algérie où la situation est bloquée». Le peu d'intérêt du Guardian s'explique aussi par les priorités imposées par le peu de moyens financiers qui pèsent sur les rédactions anglaises depuis des années. La dernière heure de gloire du Guardian il la doit aussi aux câbles de wikileaks. Le journal avait été choisi par Assange avec quatre autres de poids mondial. «Les câbles avaient de l'intérêt pour l'opinion arabe. Dans le cas tunisien, tout le monde était au courant de la réalité mais voir un ambassadeur US les confirmer prenait un sens plus lourd». L'intérêt anglais est-il toujours soutenu pour ces révélations ? «Plus maintenant» répond notre interlocuteur. Cela a fini par créer un effet d'ennui, nous expliquera, la veille le responsable de la rédaction internationale du Times. Dernière question : oui ou non pour la coalition en Libye ? «Oui et non» répond en souriant le journaliste. La BBC, cette vieille mère qui rajeunit à vue d'œil La visite d'un groupe de journalistes algériens à la BBC service arabe, a tourné à la prise de contact avec son staff dirigeant alors que le rendez-vous était prévu avec un responsable de la région Asie et Pacifique au sein de la section arabe du network. Très vite, c'est le grand patron de l'aile «arabe» de la BBC, «TV, radios et éditions online» qui nous rejoindra pour une discussion ouverte sur la célèbre station, vieille de 70 ans déjà et monument du champ médiatique international anglais. Première question donc, pourquoi la BBC n'est pas installée en Algérie et s'y intéresse si peu ? La réponse du Big boss, Farès Khouri, est nette : «Nous sommes conscients de cela et de notre faiblesse de présence en Algérie et en Afrique du Nord en général» avant d'énumérer des raisons diverses : d'abord l'accréditation du correspondant : «là on n'a pas de réponse. Même pour la couverture de l'Algérie par la BBC pour sa participation au mondial, nous avons envoyé un correspondant qui est resté dix jours à attendre une réponse officielle à sa demande d'exercer avant de rentrer bredouille. Pourtant ce n'était que du foot». La seconde raison est celle des»prestations de services de l'ENTV pour les transmissions : elles sont excessives en termes de coûts et de frais. L'ENTV demande trop cher». Par ailleurs, «sans autorisation ou même avec, il est difficile de se déplacer en Algérie et d'y exercer son métier» conclu le directeur général. C'est la situation contraire dans d'autres pays comme «désormais la Tunisie où nous pensons ouvrir un bureau permanent». Le cas est par ailleurs encore flou en Libye où les correspondants de la BBC ont été agressés. «Pour l'Algérie, le besoin est réel pour nous de nous y installer». Pour le patron de la BBC arabic, le champ médiatique en direction du monde arabe ou à partir du monde arabe a connu la révolution du chiffre : plus de 600 chaînes satellitaires dont seulement quelques unes qui ont le statut de «phare» comme El Jazeera ou El Arabiya. Des concurrents ? «Nous essayons d'être objectifs et il faut le dire la BBC a été redécouverte depuis le début des révolutions dans le monde arabe». Le constat est valable pour l'Algérie où la chaîne est désormais plus regardée. «Il faut toujours préciser que malgré le soutien du gouvernement britannique, nous ne sommes pas les représentants de la politique du gouvernement britannique et nous ne faisons de la propagande pour personne : l'opinion britannique est plurielle et cette pluralité nous la traduisons» explique notre interlocuteur. La BBC ne se fait pas «en direction du monde arabe à partir du point de vue d'un pays étranger» comme France 24, El Hurra ou Russia El Youm, mais «à l'intérieur du monde» arabe. La force du groupe «est d'être toujours un acteur neutre». Cette neutralité est vécue comme un challenge quotidien dans le groupe. «Il faut faire face au flux du net et à ses réseaux avec lesquels l'auditeur compare les informations que nous lui donnons. Le net est un nouveau challenge aussi, une source d'information que nous essayons de gérer avec des moyens de contrôle de base : comparaisons, recoupements, enquêtes etc. des règles empiriques souvent. Les institutions médiatiques traditionnelles sont encore crédibles mais le consommateur compare sans cesse avec ce qu'il y a dans le net» explique Farès Khoury. Un deal de neutralité qu'il s'agit de défendre dans des pays en proie à des crises graves comme le Yémen ou, depuis quelques jours, la Syrie ou le Bahreïn «un pays où nous avons compris l'enjeu et couvert les évènements alors que d'autres concurrents étaient hésitants». A une question sur la politique éditoriale de la BBC, le big boss expliquera que celle-ci est «claire et publique : une charte consultable par tout le monde. La règle de base est de donner l'information objective. Par la suite, chacun peut s'en servir pour construire son opinion libre». Cette tendance a valu à la vieille mère de renaître depuis peu et de reconquérir du peuple nouveau dans le monde arabe alors que la BBC était annoncée comme morte depuis une dizaine d'années.