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Règles non écrites
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 18 - 06 - 2011

Quand on défend la limitation des mandats après avoir soutenu un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika, il faut trouver des arguments en béton. M. Ahmed Ouyahia est allé chercher un argument dans l'histoire des Etats-Unis d'Amérique - à tort, diraient les constitutionnalistes - pour justifier une dérogation à la règle au nom des circonstances particulières traversées par le pays après la décennie 90.
A en croire M. Ouyahia, le peuple a voulu un «troisième mandat pour le Président et non pas l'amendement de la Constitution et l'ouverture des mandats». M. Ouyahia a cité, à ce propos, le cas des Etats-Unis qui ont connu, malgré le système des limitations des mandats, une «période particulière» qui a nécessité un troisième mandat présidentiel. Il fait clairement allusion à un seul cas dans l'histoire des Etats-Unis, celui du président Franklin Delano Roosevelt qui a accompli trois mandats complets (1932-1944) et a entamé un quatrième, interrompu par son décès.
Il convient néanmoins de préciser - et ce n'est pas du tout un détail - que M. Roosevelt dérogeait, dans un contexte de guerre mondiale, à un «usage» d'autolimitation à deux mandats institué par le premier président des Etats-Unis, George Washington. C'est un usage qui a été strictement observé par ses successeurs. Les Américains ont finalement décidé, en 1951, qu'il ne fallait plus compter sur le respect de l'usage et ont décidé, à travers le 22e amendement, de fixer dans le texte la limitation des mandats. Désormais, il est exclu qu'une quelconque circonstance «exceptionnelle» serve d'argument dérogatoire.
Le détour par les Etats-Unis en ces temps de «débat» dans une Algérie sans «crise» est en définitive utile. Là-bas, l'entorse à une coutume a motivé qu'elle soit élevée à une norme inscrite dans le marbre de la Constitution. Ici, la coutume, non écrite, veut que la Constitution soit secondaire et non astreignante quand ceux qui «lient et délient » (ahl al-hal wal-aqd) « ceux qui disposent des choses (ulu al-amr)», ou, pour faire moderne, «les décideurs» la trouvent encombrante.
Le plus gênant dans les propos de M. Ouyahia n'est pas la justification a posteriori par la «volonté» du peuple du choix de rompre la règle de la limitation des mandats. Il suffit de relire la presse de l'époque pour constater qu'il n'y a pas eu de débat sur la question pour que le «peuple» se fasse une idée claire sur le sujet et «qu'il a été décidé que… point final».
Il ne sert à rien de revenir sur le passé. Le problème est que M. Ouyahia ne ferme pas la porte à ce que «l'usage» ou la «coutume» reprenne le dessus à l'avenir sur la Constitution. Il évoque à ce sujet le cas d'une «conjoncture particulière qui nécessiterait une gestion extraordinaire», qui justifierait un retour à plus de deux mandats présidentiels.
Certes, M. Ouyahia et ses amis pourront toujours dire que la Constitution prévoit la possibilité de son propre amendement et que le propos n'a rien d'hérétique. C'est d'ailleurs l'argument, formaliste, le plus entendu pour justifier le changement de Constitution en 2008. Il n'empêche que dans un pays où la «coutume» et les «usages» du système l'ont toujours emporté sur la Constitution, cela ne permet pas d'avancer.
Ce qui doit faire débat en Algérie - et l'argumentaire embarrassé de M. Ouyahia le confirme malgré lui -, ce sont les règles non écrites du régime qui réduisent les règles écrites à un simple décorum.


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