Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi est «acculé» et sa défaite «n'est qu'une question de temps». Cette déclaration du vice-Premier ministre britannique, Nick Clegg, hier à Londres, illustre parfaitement l'extrême confusion en Libye, et l'imminence de la fin du régime. Cette question est en fait au cœur de l'actualité internationale et plutôt maghrébine. Donné comme pratiquement «tombé» lundi lors de l'entrée dans Tripoli de centaines de combattants de la rébellion, celui qui aura été désormais l'ancien «guide» de la révolution libyenne se terre quelque part dans son complexe de Bab al-Aziziya, mais n'est pas encore tombé. Il n'est pas «une cible de l'Otan», selon l'organisation qui continue ses bombardements sur Tripoli. Pourtant, des informations insistantes avaient circulé lundi sur la fin toute proche, c'était une question d'heure, de Kadhafi et son régime. Hier, la situation est toujours à l'avantage des insurgés à Tripoli et dans les autres grandes villes du pays, avec d'intenses combats dans la capitale. Des combats à la roquette et à l'artillerie lourde faisaient rage autour du complexe résidentiel du colonel Mouammar Kadhafi d'où d'épaisse fumée se dégageait, les plus violents depuis le début de l'assaut rebelle de Tripoli samedi. Le quartier de Bab al-Aziziya résonnait des tirs de mortier et d'artillerie, ainsi que du grondement des avions de l'Otan, qui ont intensifié leurs raids aériens ces derniers jours. Même à deux kilomètres, on entendait, des toits, le bruit des combats, alors que les mosquées de la ville diffusaient les appels «Allah Akbar», un signe d'encouragement aux rebelles. Ces derniers avaient indiqué dans la matinée qu'ils lanceraient une attaque contre le complexe de Bab al-Aziziya, appuyés par des chars saisis au régime. Lundi, de violents combats avaient déjà eu lieu autour de la résidence de Mouammar Kadhafi. Mais ceux d'hier sont les plus violents enregistrés depuis l'arrivée des rebelles de l'Ouest libyen dimanche. C'est samedi dans la soirée que l'opération «Sirène», la bataille de Tripoli, a été lancée, et appuyée par des combattants arrivés par la mer de l'enclave de Misrata, à 214 km plus à l'est, et des combattants de l'Ouest, entrés dans la capitale pratiquement sans résistance de la part des pro-Kadhafi. Des affrontements entre rebelles et forces fidèles à M. Kadhafi se déroulaient également hier dans d'autres quartiers de la capitale libyenne où la télévision est tombée sous le contrôle des rebelles lundi. Par ailleurs, Seif al-Islam, l'influent fils de Mouammar Kadhafi, donné pourtant pour capturé lundi par la rébellion, a fait une apparition dans la nuit de lundi à mardi, renforçant le sentiment de confusion régnant à Tripoli depuis le lancement samedi de l'opération «Sirène». Le deuxième fils du dirigeant libyen, dont la rébellion avait annoncé l'arrestation lundi, a invité en pleine nuit quelques journalistes à le rejoindre à Bab al-Aziziya, le complexe résidentiel de son père à Tripoli. Par ailleurs, les rebelles de l'enclave côtière de Misrata ont annoncé pour leur part avoir intercepté lundi une colonne de militaires pro-Kadhafi venus de Syrte, bastion du régime et ville d'origine du dirigeant libyen. Lundi soir, le chef du CNT a confirmé que la bataille pour Tripoli n'était pas encore terminée. «L'époque de Kadhafi est révolue (...) mais nous ne pouvons pas dire que nous contrôlons Tripoli», a-t-il reconnu. Des affrontements se déroulent à «Bab al-Aziziya et certaines zones alentour ne sont toujours pas sous notre contrôle et par conséquent nous ne savons pas si Kadhafi se trouve là-bas», a-t-il ajouté. «Nous espérons que Mouammar Kadhafi sera capturé vivant pour qu'il puisse avoir un procès équitable». Qui contrôle Tripoli ? «Je suis là pour démentir les mensonges», a indiqué par ailleurs Seif al-Islam Kadhafi aux journalistes emmenés sur place à bord d'une voiture blindée. «Tripoli est sous notre contrôle. Que tout le monde soit rassuré. Tout va bien à Tripoli», a indiqué Seif al-Islam. Dans le complexe résidentiel, Seif al-Islam était attendu par quelques dizaines de sympathisants qui brandissaient son portrait et celui de son père et agitaient des drapeaux libyens. Son frère Mohamed, dont la rébellion avait également annoncé l'arrestation lundi, s'est échappé, a indiqué dans la nuit un haut responsable des rebelles à Benghazi. Selon Seif al-Islam, les forces loyales au régime ont fait subir de »lourdes pertes aujourd'hui aux rebelles qui prenaient d'assaut» Bab al-Aziziya. Plus de six mois après le début du soulèvement en Libye à la mi-février, la communauté internationale a estimé que le régime libyen «touchait à sa fin». Le président américain Barack Obama a exhorté Mouammar Kadhafi à annoncer» expressément» son départ après 42 ans au pouvoir. En Chine, la presse a estimé mardi qu'il était de la responsabilité de l'Occident de «nettoyer le désordre qu'il a mis» en Libye. La Libye est de fait au menu de l'agenda d'organisations internationales : le SG de l'ONU Ban Ki-moon a convoqué un sommet sur la Libye cette semaine, le Groupe de contact se réunira jeudi à Istanbul et un sommet du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine est prévu vendredi à Addis-Abeba. Quant à Kadhafi, il est introuvable, et s'accrochait toujours à ce qui lui reste de pouvoir. La Maison Blanche a dit ne disposer d'aucune preuve de son départ de Tripoli et la rébellion a dit ignorer où il était. Après avoir juré de continuer à résister, le leader libyen, selon une source diplomatique, se trouverait toujours à Bab al-Aziziya, son fief. Victoire pas encore complète Si le camp de Kadhafi était particulièrement en très mauvaise posture, et que la chute du régime n'est qu'une question de jours, voire d'heures, la victoire des insurgés «n'est pas complète» et l'Otan doit rester en alerte et aller au bout de sa mission, a souligné par ailleurs le chef de la diplomatie française Alain Juppé sur la radio Europe 1. «J'ai dit hier déjà que la victoire n'était pas complète. Le régime est au bord de l'effondrement mais il y a encore des poches de résistance. Il faut que l'Otan soit toujours en alerte pour aller au bout de cette opération», a indiqué Alain Juppé. Il a précisé qu'une conférence audio avait eu lieu lundi sur ce point entre les Français, les Américains, les Britanniques, les Allemands, les Turcs et des pays arabes. Pour autant, Mouammar Kadhafi ne représente pas une cible pour l'Otan, lui a rétorqué immédiatement le porte-parole de l'opération Protecteur unifié de l'Otan, le colonel canadien Roland Lavoie. A l'étranger, plusieurs leaders et chefs d'Etat ont appelé Kadhafi à quitter le pouvoir et éviter au peuple libyen un bain de sang inutile. Dans le monde musulman, l'Organisation de la coopération islamique (OCI) a félicité le peuple libyen pour «la réussite de sa révolution» et a exhorté la Libye à préserver son unité et son intégrité territoriale. La Ligue arabe a souhaité au gouvernement rebelle de «réussir à mener à bien une nouvelle ère et préserver l'intégrité régionale de la Libye ainsi que sa souveraineté et son indépendance». L'Egypte, le Maroc, la Tunisie, l'Irak et la Chine ont annoncé reconnaître le CNT comme le gouvernement légitime de la Libye. Sur les autres fronts, Brega et Ras Lanouf, importants terminaux pétroliers, sont tombés lundi et mardi aux mains des combattants de la rébellion.