Au lendemain de son indépendance, l'Algérie décida alors de pourvoir aux fonctions autrefois occupées par les colons français au sein de l'administration du pays. Enseignant, policier, douanier et autres étaient des métiers de choix pour ces «indigènes», peu lettrés mais tout frais et dispos à rapidement les occuper au pied levé. On y fit alors venir nécessité oblige- des gens sachant tout juste déchiffrer la phonétique d'un mot ou l'adresse exacte d'un colis postal. Ravis par l'aubaine, ces gens-là, encore adolescents dans leur écrasante majorité, ayant échoué dans leurs études ou contraints de les abandonner, sautèrent alors sur l'occasion inespérée. Leur déficit chronique de formation allait rapidement se répercuter très négativement sur le terrain. Ainsi, dans leurs attitudes et comportements, à la limite de la chose insensée ou bizarre, on y vit ou découvrit des cas de tout genre, allant de l'insolite au comique, en passant par l'absurdité. Dans le flux de cette vague de promotions et d'ascensions sans mérite aucun hormis le titre d'ancien soldat et d'être algérien- au sein de la hiérarchie de notre toute jeune administration, un homme, plutôt jeune, grand de taille et bien solide sur ses pieds, l'air d'un intellect avisé, l'œil très vigilant, le regard très fouineur et bien appuyé, fut donc affecté comme agent de l'ordre public dans une vieille commune du haut Chelif, dans cette très riche vallée prise en sandwich entre le mont du Zaccar, celui d'El Meddad, l'Ouarsenis et le Dahra. Cette localité a pour nom « la source de laurier-rose » et les gens, grands comme petits commis de l'état- la boudaient juste de par ou à cause de son nom ! Ils n'aimaient probablement pas assez la fleur arrosée à l'eau du Chélif de la plante de couleur «vert-rose», au goût plutôt amer et aux propriétés visqueuses du petit arbuste, abondamment fourni dans la région. Ils craignaient beaucoup pour leur devenir, juste en évoquant le nom du village d'autrefois, véhiculant cette appellation affichée de cette plante peu choyée et le côté amer de ses fleurs, pourtant très belles à voir, dégageant des effluves, certes peu fortes mais assez agréables, somme toute. Ainsi, la source, tenant bonne compagnie à la plante et humant toutes les deux le parfum du pays, formaient cette bourgade, recevant des gens de différentes contrées. Le nom du village, admirablement arboré, tenait pourtant de la source sa transparence et sa limpidité et de la rose de la plante sauvage, le côté plutôt beau et gai, à défaut de pouvoir disposer de ce parfum très puissant qui chatouille les narines, propre aux fleurs haut de gamme. Le laurier-rose étant la fleur de la contrée, et toutes les venelles du village en étaient pourvues ou sciemment pavoisées, se drapant de son bonheur discret et de son odeur du pays, bien propre à ces régions très chaudes pendant la période de l'été. L'arbuste décorait également admirablement ses nombreux près ainsi que les bordures de rivières affluant dans l'oued du Chélif d'où la grasse plaine tient le nom. Miliana, telle une reine, riche de son histoire et très vaniteuse, bien heureuse dans ses apprêts et costumes naturels et saisonniers, confortablement assise sur son rocher, narguant son monde d'en bas habitant la plaine et ses lauriers-roses, surveille bon œil bon pied tout le mouvement de la vallée. Mais le nom du village d'autrefois constitue à lui tout seul une vraie légende, puisque la source naturelle qui y coule, charrie également tout un flux de richesses agricoles et en tout genre, engendrant une véritable fortune pour les ploucs d'autrefois et de jadis ainsi qu'un incontestable trésor pour l'Algérie d'aujourd'hui. Le suffixe propre à la rose n'a lui pas besoin d'être commenté. C'est plutôt sa beauté et l'odeur que la plante en dégage qui le font découvrir à toute l'humanité. Sa seule couleur oscillant entre le côté miel et l'aspect doré de la vie restituent au mot, à la fleur et à l'univers devais-je rectifier- tout le sens habilement usité, habitant pour toujours la plante considérée. Le monde résidant dans la contrée, habitant pour un temps ou pour toujours la région, trouvant sur place du travail, dormait sur ses deux oreilles, n'ayant d'yeux ni pour ces beaux lauriers-roses ni pour les autres fleurs parsemant les nombreux près. C'était sa nature, et c'est plutôt ainsi qu'il vivait, récupérant l'été venu ses grains de blé dans les près et se prélassant à ce soleil de feu tout près des ses rivières, sources et affluents de ce grand fleuve de la région. Entre ce monde-là et les autres, il y a cet intérêt à accorder à la vie en société, à la ville habitée et à tout ce qui touche à l'humanité. Le goût du produit coloré de l'arbrisseau, certes amer, ne pourra jamais déteindre sur le parfum très fin et bien discret que secrète la plante, à mesure que le vent des après-midis de l'été remue dans cette chaleur torride de la contrée. Quant au sens péjoratif ou caricatural dont le nom de la ville insinue chez certains esprits malintentionnés, le bon sens, vomissant de tels propos, nous commande d'éviter même d'en parler ou de le commenter. La source de laurier-rose d'autrefois s'appelle désormais Ain-Defla, chef-lieu de département de ce haut-Chélif. Grace à son nouveau statut, la petite bourgade d'autrefois se hisse au même rang que les grandes villes d'Algérie. L'histoire de la ville tient beaucoup de sa plante et du caractère des gens qui l'ont visitée, dès les premières années de l'indépendance du pays. A la moindre trituration de ma mémoire, remontent alors en surface ces histoires plutôt insolites ou inédites que l'impact du temps aussi fort et aussi pesant n'aura pu, durant ces longues années, complètement les effacer. Il en subsistera toujours ces bouts de fils pendants par le biais desquels l'on sera amené un jour à bien les déterrer, les ressusciter les revaloriser et à juste titre les reconsidérer. Parmi le lot de ces nouveaux venus dans la région, il y eut, autrefois, ce flic nouvellement muté dans les fonctions d'agent de l'ordre public. La morale dont il aura été l'auteur à son admission à la retraite m'impose donc de lui consacrer ce papier. De lui faire, en quelque sorte, une fleur en ce généreux printemps de l'année 2011, au regard de sa correction, de son abnégation dans son travail, de son humilité, de sa rectitude, de son humanisme et surtout pour services rendus à la nation. Même partiellement analphabète, le policier qu'il fut n'état pas bête du tout. L'agent de l'ordre faisait en grand Seigneur de la route bien régner l'ordre. Il craignait le désordre, s'occupant de son travail avec un haut degré de conscience professionnelle, ne négligeant ni les affaires de la municipalité ni celles de ses administrés. Il fut ce commis de l'état très juste, droit et adroit, agissant en homme de loi croyant bien en sa foi d'une nation républicaine et en la force du droit. Il était très propre, surtout probe, ni fourbe ni snob, très correct, imparable, implacable et bien souvent impardonnable envers certains récidivistes. Il était très à cheval sur le côté réglementation de la circulation, bien que ne sachant pratiquement ni lire ni écrire. Il éprouvait toutes les peines du monde à pouvoir déchiffrer un quelconque document, chose qui amena ses collègues à ne plus jamais le laisser seul lors des barrages de contrôle de la circulation. Il ne pouvait donc dresser le moindre procès-verbal d'infraction au code de la route, bien qu'il avait ce sens inné de découvrir toutes les fautes, anomalies ou infractions intentionnellement commises par les usagés de la route. Il symbolisait la loi dans toute l'étendue de sa rigueur et dimension humaine. A telle enseigne que jeunes écoliers de la décennie soixante du siècle dernier, que nous étions, l'avions surnommé « El Kanoun » (la loi, le droit .). Ainsi, El Kanoun a toujours fait son travail dans les règles de l'art, mais surtout dans le strict respect des lois de la république à laquelle il croyait dur comme fer, affranchi de ce texte de loi auquel il se conformait, invitant les citoyens à en faire de même. Mais, à la différence de certaines lois, El Kanoun considérait l'acte et non l'intention de l'automobiliste, sa propre interprétation des circonstances de la faute et non le résultat. Il s'attachait à l'essentiel, oubliant parfois le côté partiel et les menus détails qui influent sur le résultat final Il état ce commis de l'état qui jugeait de la chose en l'état. Conscient de son acte et déterminé à aller jusqu'au bout de son idée, de ses croyances, de ses convictions Il vivait très modestement mais humblement. Très honnêtement donc. Le képi ne lui a jamais donné des airs de folie ou poussé à se substituer à un général en puissance ou corrompu, ni même le colt l'ombre d'un Zorro de retour à la vie ou en balade dans la région ! Devant les vieux, il s'effaçait complètement, oubliant même qu'il porte l'uniforme. Et devant les tout jeunes garçons, il souriait abondamment. A sa façon, il imprimait ce côté humain de l'uniforme qu'il arborait, qualité ayant complètement disparu de nos jours. Il fut ce fidèle à sa fonction parmi les nombreux fidèles à la révolution et au pays. En consciencieux agent de l'ordre, il aura toujours vécu dans l'ordre des choses, en appliquant à la lettre la loi. D'où son nom, d'ailleurs ! Aujourd'hui que l'homme en question est définitivement parti de la contrée, rejoignant pour ce faire sa région natale Batna, nous n'en retenons de l'homme de la loi que le côté humain de la règle de droit. Que la droiture de l'homme de bonne foi et de bon aloi ! Mieux encore, à son départ à la retraite, il a tenu à publiquement faire ou rendre son bilan, sillonnant les artères de la ville, venelle après venelle et ruelle après ruelle, interrogeant la population sur une possible, probable ou hypothétique exaction de sa part intentionnellement exécutée dans le cadre de son travail et dont il n'aurait pas justement bonne souvenance ! Quel beau geste, celui-là ?....Nous en restions éberlués par ce geste humain, cherchant après un quitus populaire, fruit de cette honnêteté et haut rang et affiné niveau de la conscience professionnelle au regard de la chose publique et à l'intérêt de la communauté sur le devoir citoyen ! Ainsi, à la veille de ces faramineux détournements de deniers publics dont allait connaitre le pays, il tenait, lui, le simple policier qu'il fut, à rendre publiquement des comptes à la communauté sur son travail accompli pour la nation et l'intérêt du citoyen algérien. Depuis, on n'a plus vu des commis de l'état faire leurs adieux à la ville et rendre publiquement des comptes à la population qu'ils ont administrée. Depuis qu'El Kanoun est parti ailleurs se reposer, c'est plutôt cette situation de non-droit qui nous est tout le temps imposée ! Et c'est par un vrai miracle ou instinct bestial qu'elle lui a tout naturellement succédé. Pour que le droit revienne dans les affaires de la cité, ne sommes-nous pas aujourd'hui contraint de battre le rappel des gens semblables à El Kanoun afin que la communauté retrouve graduellement mais complètement ses droits ? Ain-Defla, la source de laurierrose, reste encore cette source très généreuse, tout le temps convoitée par une nuée d'opportunistes de tout bord ou acabit. Elle tient cette qualité de la plante à laquelle elle a tout le temps offert son lit et son hospitalité. Pour preuve : le laurier-rose fleurit presque en toute saison. Il est cette marque de fabrique bien propre à la région. (*) Auteur d'un ouvrage à paraitre chez Edilivre, France, intitulé «Recto Verso».