La Belgique aura, ces jours-ci, son gouvernement de plein exercice. Des négociations marathon ont été engagées entre les vainqueurs des législatives depuis le soir du 13 juin 2010. Ce délai traduit-il une anomalie politique ou une lucidité des hommes politiques et un respect de la volonté du peuple belge ? Il aura fallu 16 mois de négociations aux partis politiques belges pour sortir le pays de la crise politique et s'entendre pour la formation d'un gouvernement. Pourquoi et comment un pays européen démocratique, riche, qui héberge les principales Institutions de l'UE et de l'Otan dont il est membre fondateur, a-t-il éprouvé de si grandes difficultés à mettre, à la suite d'élections législatives, un gouvernement de plein exercice ? S'il est vrai que la complexité du système politique et institutionnel est de notoriété internationale, il est tout aussi vrai que les Belges sont réputés pour leur très grande disposition au consensus. «Le compromis à la belge» aiment à répéter les politologues européens. Alors, pourquoi une si longue «crise» pour normaliser la vie du pays ? Brièvement, rappelons que les Belges, Flamands (néerlandophones) et Wallons (francophones) s'étaient promis depuis les deux législatures précédentes de 2002 et 2007 une profonde réforme de l'Etat. Bien que des négociations pour la réforme de l'Etat fussent engagées depuis 2007, les Flamands ont estimé qu'elles n'avançaient pas au rythme voulu et ont fait chuter le gouvernement en s'y retirant en avril 2010. Les législatives anticipées de 13 juin 2010 ont redessiné la carte politique au nord du pays au profit de la Nouvelle alliance flamande (N-VA), parti politique radical, qualifié d'extrémiste et revendiquant l'autonomie de la Flandre pour un projet, au final, séparatiste. Jusqu'au mois de juillet dernier, la N-VA était au centre des négociations, aux côtés des socialistes francophones (PS), vainqueurs des élections au sud du pays. PS et N-VA n'ont pu aboutir à un accord tant leurs conditions sont inconciliables. Les autres partis associés aux négociations au nombre de six (trois néerlandophones et trois francophones) n'ont pu aider à débloquer la situation. En août dernier, la crise était telle que la N-VA s'est retirée des négociations. Les libéraux francophones, exclus des débats malgré leur 2ème place aux élections, sont invités à la négociation. En ce début d'octobre, la crise prend fin : la sixième réforme de l'Etat belge est acquise et un gouvernement de plein exercice sera mis en place les prochains jours. Revenons à la question de départ : pourquoi de si longs mois de négociations et sur quoi porte le contenu de cette réforme ? Sans entrer dans le détail de cette réforme, tant elle est profonde et compliquée, signalons quand même ses principaux vecteurs porteurs : régionalisation de l'impôt sur les personnes physiques (IPP) ; nouveau mode de financement des trois régions belges ; transfert de quelques compétences et pouvoirs du fédéral aux entités fédérées et par-dessus tout, la scission du fameux arrondissement électoral dit de «BHV», soit Bruxelles ( 19 communes) et les arrondissement électoraux de Hall et Vilvoorde (36 communes) dans la banlieue bruxelloise. L'ensemble de ces 55 communes constituait une seule circonscription électorale. Le but des Flamands est de scinder Hall et Vilvoorde, à majorité flamande, de Bruxelles qui est à 98 % francophone. Chose, enfin faite avec la garantie du droit de la minorité francophone vivant à Hall et Vilvoorde. Cependant, si la complexité institutionnelle et politique de la Belgique échappe au profane, pour ne pas dire le citoyen lambda, on ne peut éviter de s'interroger sur un tel délai de négociations entre les partis politiques. Au-delà des jeux et stratégies des partis politiques, un premier indice nous édifie, malgré les apparences, sur le sérieux des négociateurs politiques. De l'aube jusque tard le soir, chaque jour, au bout de réunions marathon, les négociateurs annoncent aux Belges le détail de la réforme de l'Etat et sa portée sur leur vie quotidienne : le calcul des allocations familiales, la nouvelle carte judiciaire, la collecte de l'impôt et jusqu'au code de la route. Ainsi, accusés souvent d'incompétence, subissant des humeurs d'opinion et des manifestations de leurs concitoyens, les négociateurs politiques sont restés fermes, lucides et intransigeants jusqu'à offrir à leurs concitoyens une nouvelle réforme de l'Etat pour, disent-ils, être tranquille pour 20 ans. C'est cette lucidité et cette haute conception de l'engagement politique qui ressortent au final dans l'action des hommes politiques belges : l'intérêt du pays et celui des citoyens dans leurs diversités, Flamands Néerlandophone et Wallons francophones. Le célèbre compromis belge a survécu aux pressions des extrémistes des deux communautés belges. La démocratie est le grand vainqueur.