Au départ de la crise syrienne, la position du Premier ministre turc et de son gouvernement a consisté à prêcher à Bachar El-Assad la retenue dans la répression des manifestations anti-régime et l'ouverture politique ordonnée en direction de son opposition. Ankara s'est démenée pour tenter de convaincre et le Président syrien et ses opposants, dont certains sont réfugiés en Turquie, de promouvoir un dialogue d'où résulterait la solution à la crise politique de leur pays. Du fait que le gouvernement turc ne faisait pas écho à l'exigence de son départ et celui de son régime, très tôt scandée par les manifestants dont les démonstrations devenaient de plus en plus spectaculaires, Bachar El-Assad a cru pouvoir bénéficier de l'appui complaisant de la Turquie quoi qu'il fasse de répréhensible contre ces manifestants, car ce pays est lié à son régime par un pacte stratégique essentiel pour sa politique arabe. Aujourd'hui pourtant, la Turquie est à la pointe des Etats qui stigmatisent le Président syrien et son régime et l'un de ceux qui prônent que la crise syrienne n'est maintenant résoluble que par le départ du premier et le démantèlement du second. Il faut dire que le Président syrien a tout fait pour faire basculer le gouvernement turc dans le camp de ses ennemis les plus intransigeants contre son maintien au pouvoir. Au lieu de la retenue, il a opté pour la répression sanglante et le refus de prendre en compte les revendications démocratiques du peuple syrien. La Turquie ne pouvait que durcir le ton et sa position à l'égard d'El-Assad en regard de l'indignation internationale suscitée par les exactions des forces armées fidèles à celui-ci contre la population syrienne. Il lui faut en effet être au même niveau de cette indignation internationale pour être accepté par ceux qui l'expriment en tant qu'acteur étranger majeur et incontournable dans une crise qui affecte un pays voisin, où elle a des intérêts géographique, économique et historique évidents et incontestables. Dans la crise syrienne, le Premier ministre turc joue exactement le même rôle que celui tenu par le Président français Nicolas Sarkozy dans celle de l'affaire libyenne. Il entend, et certainement avec le consentement de Washington, que la Turquie soit partie prenante de premier plan à ce que fera la communauté internationale pour contraindre à la raison le Président syrien et son régime. La Ligue arabe est apparemment en accord avec Ankara, à qui elle a implicitement reconnu le droit d'ingérence dans cette crise syrienne. Si par ses pressions, ajoutées à celles qu'exercent les monarchies arabes sur le régime syrien, la situation bascule dans ce pays en faveur des opposants, la Turquie pourra alors se prévaloir d'un succès aux dimensions extraordinaires. La Turquie ferait en effet la preuve qu'elle est devenue une puissance régionale qui a son mot à dire dans la recomposition du monde arabe sans recourir, comme le font les puissances occidentales, à l'argument militaire. La chute du régime d'El-Assad affaiblirait par ailleurs l'autre puissance régionale, l'Iran, qui lui dispute le leadership au Moyen-Orient. Sans oublier qu'Erdogan est guidé dans sa position à l'égard du régime syrien par sa volonté de «damer le pion» au Président français qui, dans l'affaire libyenne, a manœuvré pour réduire le rôle de la Turquie à celui des «utilités».