C'est aux cris de «dégage» que des dizaines de milliers d'Egyptiens ont manifesté, hier mardi, place Tahrir contre la mainmise du pouvoir militaire sur les affaires du pays au lendemain du départ du président Moubarak, et, surtout, le détournement de la révolution du peuple, qui a fait tomber le régime corrompu du clan Moubarak. Ils scandaient «le peuple veut la chute du maréchal Hussein Tantaoui». Même avec l'annonce d'un discours du maréchal Hussein Tantaoui, chef suprême de l'armée, la place Tahrir s'était vite remplie aux environs de 16 heures locales de manifestants qui avaient scandé «dégage» en direction du maréchal. Un rassemblement extraordinaire de manifestants demandant le départ du régime militaire en place depuis la chute du régime Moubarak marquait ainsi l'apogée de quatre jours de violentes échauffourées entre manifestants et forces de l'ordre qui ont fait depuis samedi dernier plus de 30 morts et des centaines de blessés. La situation politique était bloquée dans le pays, après l'annonce de la démission du gouvernement intérimaire et la demande des manifestants d'un gouvernement de «salut public». Les militaires ont refusé la démission du gouvernement, et négocié avec plusieurs partis politiques, dont celui des Frères musulmans, une si difficile transition démocratique, à une semaine des élections législatives dans le pays, qui doivent ouvrir la voie à des institutions élues. En face, l'armée, dont les chefs avaient rencontré mardi des partis politiques pour «calmer la situation», a discuté de la possibilité de nommer l'ancien haut fonctionnaire international Mohamed El Baradei comme nouveau Premier ministre, selon une source militaire. Le plan de la Grande muette égyptienne, face aux revendications de la rue, est de donner à l'ancien patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le poste de Essam Charaf, dont le gouvernement a présenté lundi sa démission au Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui n'a pas confirmé s'il l'acceptait ou non. Le nom d'Abdelmoneim Aboul Fotouh, candidat potentiel à la présidence et ancien membre des Frères musulmans, a également été évoqué lors de ces entretiens centrés sur la présentation de la démission du gouvernement Charaf. A la surprise générale, et alors que la situation devenait critique, le CSFA avait reconnu lundi soir pour la première fois depuis le début des violences qui ont fait 28 morts en trois jours, que le pays était en «crise», après la présentation de la démission par le gouvernement d'Essam Charaf nommé en mars par l'armée pour gérer les affaires courantes et préparer les élections législatives. Pour autant, le pays est rentré, à une semaine des élections législatives et quelques mois après la chute du régime de Moubarak, dans la seconde plus grave crise politique depuis le début de l'année. Mais, place Tahrir, il y a l'absence remarquée des Frères musulmans, qui représentent la force politique la mieux organisée du pays, mais qui ont boycotté la manifestation et appelé au calme, soucieux de voir le scrutin, pour lequel ils s'estiment en position de force, débuter comme prévu le 28 novembre. Selon Saad al-Katatny, secrétaire général du Parti de la liberté et la justice, «plus le nombre (de manifestants) grandit, plus il y aura des tensions». Selon le ministère de la Santé, 28 personnes - 26 au Caire, une à Alexandrie (nord) et une à Ismaïliya (sur le canal de Suez) - ont été tuées depuis samedi, notamment sur la place Tahrir au Caire, épicentre du soulèvement du début de l'année. «Personne ne peut nier que l'Egypte se trouve aujourd'hui face à un grand danger et devant un tournant», estime mardi le quotidien gouvernemental Al-Goumhouriya. «Qui éteindra le feu?», s'inquiète en une Al Wafd (libéral), qui relève: «les troubles sont dus au fait qu'il n'y a pas eu de gouvernement de révolutionnaires (...) la foule est donc descendue dans la rue pour faire valoir ses revendications». De leur côté, plusieurs dirigeants de partis ont annoncé mardi la suspension de leur campagne pour les élections législatives du 28 novembre prochain.