Les Egyptiens ont été très nombreux à se rendre, hier, aux urnes. Les appels venant d'une place Al-Tahrir très divisée sur la question à ne pas participer au vote n'ont pas été entendus. Même s'il est prématuré de tirer des conclusions définitives dans un contexte politique égyptien très compliqué, cet afflux des électeurs est de nature à conforter les Frères musulmans et les militaires au pouvoir face à la coordination révolutionnaire en œuvre sur la place Al-Tahrir. Très symboliquement, le rassemblement de vendredi dernier s'est donné comme dénomination «millionième de la légitimité révolutionnaire» pour exiger un transfert immédiat du pouvoir vers un gouvernement civil de salut national. La place Al-Tahrir pouvait encore donner le tempo en se proclamant «cœur battant» de la révolution. Mais si le processus électoral en plusieurs étapes continue de susciter l'afflux enregistré hier, au premier jour, il sera politiquement difficile de continuer à exciper de la légitimité révolutionnaire. Il est indéniable que les demandes de la place Al-Tahrir n'ont rien d'incongru et sont le fait de jeunes très mobilisés qui refusent que la révolution soit «confisquée» par des militaires qui incarnent très clairement la continuité du régime. Mais la place Al-Tahrir, en choisissant d'exclure les partis politiques et en se faisant la gardienne exclusive de la «révolution», a mis fin au consensus qui a prévalu pendant les premiers mois. Il y a également le fait que le regain de contestation de la place Al-Tahrir est intervenu à moins de dix jours des élections. Les Frères musulmans, organisés dans le parti Justice et Liberté, soupçonnés d'avoir conclu un arrangement avec les militaires, estiment à leur tour qu'on veut empêcher une décantation politique et entraver leur victoire annoncée. En défendant la tenue des élections, les Frères musulmans, mais également d'autres forces politiques ainsi que les militaires, prenaient un pari qui semblait, hier encore, risqué. Mais qui semble désormais clairement tenable à la suite du succès populaire réel des élections. L'afflux des électeurs a même troublé les acteurs de la place Al-Tahrir, où le boycott électoral ne faisait plus l'unanimité. Le véritable enjeu pour les militaires était d'assurer la sécurité du scrutin. Cela semble réussi et cela a été une raison supplémentaire de mobilisation des électeurs. Il faut sans doute y ajouter la machine à mobiliser des Frères musulmans qui cherchent à s'imposer comme première force politique. L'Egypte paraissait hier - et cela dépendra de la manière dont se dérouleront les étapes électorales à venir - dans une sorte d'intermède. Celui du «passage» de la révolution, avec son côté romantique et inorganisé, à une institutionnalisation par la voie des urnes. La plupart des électeurs disaient que le vote était nécessaire pour sortir de «la situation où l'on se trouve» et pour aller vers la «stabilité». Il sera difficile pour la place Al-Tahrir de continuer à faire valoir la légitimité révolutionnaire si les électeurs égyptiens s'expriment en nombre suffisant. Et c'était bien la tendance hier dans les grandes «chaînes» des Egyptiens pour le vote.