Officiellement, les autorités algériennes se sont contentées de prendre acte de l'arrivée au pouvoir des islamistes dans les trois pays voisins de l'Algérie que sont la Tunisie, le Maroc et la Libye. Consigne semble avoir été donnée pour que les responsables s'exprimant au nom de l'Etat s'abstiennent de commenter cette situation inédite et encore moins d'exprimer un avis au risque qu'il soit pris pour être celui de l'Algérie officielle. L'apparent détachement dont a fait montre en l'occurrence la sphère officielle algérienne est pourtant loin de refléter le véritable état d'esprit avec lequel elle a accueilli la survenance aux frontières du pays de cette nouvelle réalité géopolitique. Dans l'anonymat des discussions privées, les officiels algériens ne font pas en effet mystère de l'embarras et des craintes que cette arrivée au pouvoir des islamistes dans les pays voisins a provoqués en haut lieu. Ils ne cachent nullement qu'ils sont inquiets des effets d'impact qu'elle peut avoir en Algérie, où pointe l'échéance d'élections législatives. D'autant qu'il leur paraît que le courant islamiste local a été sérieusement revigoré par les succès de ses congénères des pays voisins, et s'attendent de ce fait à ce qu'il fasse une percée lors de ces élections, qu'ils n'estiment pas toutefois devoir avoir l'ampleur «d'un raz de marée». Il est vrai qu'en théorie, la probabilité d'un «raz de marée» islamiste est exclue en Algérie. Zeroual puis Bouteflika ont été les initiateurs de lois et de dispositions juridiques qui la rendent en principe impossible. A cela s'ajoute que le courant islamiste local est atomisé en kyrielles de formations dont l'ancrage populaire est très restreint et qui ne paraissent pas être enclines à faire front commun, comme elles y ont été conviées concurremment par Abdallah Djaballah et Bouguerra Soltani. Sauf que ce constat pourrait être bousculé et s'avérer inexact au cas où la base islamiste en viendrait à ne pas tenir compte des différends et divergences qui distinguent entre elles ces formations et décide de se rallier massivement à celle qui leur paraîtra la plus apte à être le vecteur d'une réédition des performances des islamistes tunisiens ou marocains. L'enjeu pour le pouvoir est que ce scénario soit impossible à se produire en Algérie : et Chihab Seddik, membre du bureau national du RND, croit avoir exorcisé sa survenance en faisant valoir que le courant islamiste algérien est dans l'impossibilité de se rassembler. Pour la simple raison, aux yeux de ce responsable du RND, qu'il serait composé de trois catégories d'islamistes en totale divergence d'intérêts et de vision. Une première catégorie qui, selon lui, s'est «compromise avec le pouvoir» ; une seconde qui s'est elle «compromise avec le terrorisme» ; et enfin une troisième qui est elle «dans les affaires» et qui, de ce fait, «a découvert les plaisirs de l'argent». L'analyse de ce que sont les composantes du courant islamiste algérien, telle que formulée par Chihab Seddik, n'est pas sans justesse et pertinence, sauf qu'elle lui fait commettre un imprudent et hasardeux pronostic, consistant à affirmer péremptoirement que «les Algériens ne veulent pas de ces islamistes» et que, par conséquent, «il n'y a pas lieu d'avoir peur de ces derniers». Il semble en cela avoir mésestimé la détermination des Algériens à infliger un vote sanction au pouvoir, dont le RND, son parti, est l'un des relais partisans. Peut-être peu importe l'identité doctrinale de celui qu'ils en feront bénéficier, pourvu que le pouvoir subisse la rigueur de leur vote sanction.