Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, campe volontiers le rôle de l'atténuateur des bêtises de ses pairs au gouvernement, y compris du président français Nicolas Sarkozy. Il a renouvelé l'exercice avec M. Claude Guéant, qui s'est donné la mission de faire mieux que Le Pen et de dire au moins une fois chaque quinzaine une bonne parole islamophobe et xénophobe. Le ministre de l'Intérieur vient en effet de faire un dérapage délibéré en reprenant la très raciste thèse de la suprématie de la «civilisation» occidentale sur toutes les autres et M. Juppé a entrepris de corriger : «M. Guéant a voulu dire que toutes les idées, tous les systèmes politiques ne se valent pas». Voilà qui sauvera la situation, car qui pourrait en effet dire qu'une démocratie et une dictature se valent ? Le problème du «correcteur de bévue» est que M. Guéant n'est pas sur ce registre et il le dit lui-même. Il est ouvertement dans la vieille thématique coloniale de la suprématie du blanc, de la supériorité du «civilisé» sur le barbare. Il ne parle pas de système politique chose très précise mais de civilisation. M. Juppé, qui est en charge de l'image de son pays à l'extérieur, a bien du mal à corriger ce fond raciste et suffisant qui remonte et s'exprime sans aucune précaution de langage dans une France en campagne électorale. Les Français musulmans, noirs ou maghrébins, véritable cible de cette expression du racisme décomplexé, vont devoir s'attendre au pire. Ils ont beau être totalement hors du jeu politique hexagonal, ils ont beau ne s'intéresser pratiquement pas aux élections, ils sont remis, par-devers eux, au centre des manœuvres et des manipulations politiques. Ils sont, hélas, «l'étranger», «la menace» qui ne cesse d'être brandie par des élites politiques en panne de réponse dans le domaine économique et social. La thématique antijuive, qui a servi au siècle dernier, ne pouvant plus être mise en avant, on la remplace systématiquement par un laïcisme dénaturé entièrement centré sur la stigmatisation des musulmans ou supposés tels en raison de leur faciès. Et on peut constater que même les socialistes qui dénoncent à juste titre les propos de Guéant ne sont pas en reste, comme en témoigne l'adoption par le Sénat d'un article de loi qui étend l'interdiction du foulard aux assistantes maternelles qui accueillent des enfants à domicile. Une disposition sur mesure qui vise de manière très précise les musulmans et qui est, selon la sénatrice Esther Benbassa (EELV), une «violation du droit à la vie privée» en bonne et due forme. Certes, les socialistes appuient moins que M. Guéant sur cette pédale facile de la haine de «civilisation», mais ils sont eux aussi entraînés dans une conception de la laïcité profondément islamophobe, dont les contours sont systématisés et théorisés par des «commissaires» à la bonne pensée. Le «retour» du thème raciste de la supériorité des civilisations n'est pas seulement le fruit d'un dérapage électoraliste, d'une chasse à outrance au vote de l'extrême droite, il est l'expression d'une idéologie suprématiste fortement ancrée. Les «Français pas vraiment français» en raison de leur peau et de leur croyance n'en finissent pas d'être sur la sellette. Leur désintérêt pour la chose politique et leur manque d'organisation en font des cibles faciles.