Alain Juppé prend-il les musulmans pour des cons ? La question mérite d'être posée après sa récente sortie médiatique arguant que la France est prête à travailler avec les islamistes dans le monde arabe ! Alain Juppé prend-il les musulmans pour des cons ? La question mérite d'être posée après sa récente sortie médiatique arguant que la France est prête à travailler avec les islamistes dans le monde arabe ! Après les déclarations sulfureuses de son collègue de l'Intérieur, Claude Guéant, sur le nombre des musulmans en France, la déclaration de Juppé mérite que l'on s'y attarde pour essayer de comprendre. En effet, à l'heure du national-sarkozysme triomphant, pareille déclaration, qui aurait été la bienvenue dans un autre contexte, a de quoi laisser perplexe. L'heure n'est plus au «choc des civilisations» appliqué scolairement par l'Administration Bush. L'heure est au nouveau «containment» stratégique et idéologique comme l'a si bien illustré le discours d'Obama au Caire dans lequel il a appelé le monde arabe et musulman au dialogue et à la lutte commune «contre le terrorisme» et «pour la démocratie et la prospérité économique». Grâce aux pétrodollars de l'émirat vassal du Qatar, le Conseil mondial des Oulémas musulmans, dirigé par le vénérable cheikh Youssef Al Qaradhaoui, peut distinguer solennellement entre le «bon musulman» et le «mauvais musulman». Le réactionnaire cheikh Al Khalifa de l'émirat vassal du Bahreïn fait partie des «bons musulmans» alliés du monde libre et le fou Kadhafi fait partie des «mauvais musulmans» ! Le premier peut réprimer son peuple dans une impunité internationale totale puisque c'est pour la bonne cause. Le second se voit accusé de tous les péchés d'Israël dans la mesure où les Occidentaux ont cru trouver dans les «insurgés» de Benghazi des alliés musulmans autrement plus fréquentables depuis que le «nouveau philosophe» Bernard-Henri Lévy les a rencontrés et adoubés ! Que ce soit dans le cadre d'une République libyenne «libre» ou d'un nouvel émirat vassal dans les limites de l'ancienne Cyrénaïque, les islamistes libyens risquent d'être incontournables aux côtés des agents de la CIA et du MI5 et MI6. Si la France veut avoir une part du futur gâteau libyen, il faut bien qu'elle s'adapte au nouveau contexte stratégique et idéologique. L'adaptation est d'autant plus urgente que la tendance ne semble pas s'arrêter aux frontières de la Libye. Les nouvelles qui parviennent d'Egypte vont dans le même sens. Les Frères musulmans font déjà partie de la nouvelle équation politique égyptienne et les futures échéances électorales ne feront que confirmer la donne. Il faut se rappeler que la France n'est pas à son coup d'essai avec sa «politique islamique». Lors de la crise algérienne durant la décennie sanglante des années 1990, la France s'est distinguée par un double jeu diplomatique très subtile. Une partie de la classe politique et de l'intelligentsia française (le clan Pasqua avec la DST et les intellectuels islamophobes comme BHL et Glucksman) ont soutenu les éradicateurs algériens dans leur guerre contre les islamistes pendant qu'une autre partie a soutenu de fait les réseaux de l'ex-FIS (les socialistes et leurs amis antimilitaires). Ce faisant, comme tout investisseur prudent, la France a parié sur deux chevaux pour être sûre de sortir gagnante à tous les coups. Faux calculs diplomatiques Il reste à savoir si cette «ouverture» diplomatique française à l'égard des islamistes suffira à donner à ce pays la place qu'il convoite sur le nouvel échiquier moyen-oriental. Rien n'est moins sûr. D'abord, sur cette question, Américains et Britanniques garderont une longueur d'avance sur la France pour des raisons historiques évidentes mais aussi grâce à leur culture politique plus ouverte que la culture républicaine française. Ensuite, les islamistes arabes en général suivent de près ce qui se passe en France, particulièrement les campagnes islamophobes visant les musulmans, et rien ne dit qu'ils n'en tireront pas les enseignements politiques à l'heure des choix diplomatiques décisifs. Mais outre le sabotage dont pourrait pâtir cette «ouverture» diplomatique de la part du lobby pro-israélien fort actif à Paris, il y a une question fondamentale que l'opération marketing du Quai d'Orsay ne saurait prendre en charge correctement quelles que soient les bonnes intentions des lobbies «islamophiles» qui cherchent à limiter les dégâts d'une politique (anti) arabe ravageuse. L'islam comme religion, civilisation et culture est trop grand pour être contenu dans des stratégies hégémoniques et policières redondantes. Pas plus qu'il n'y a un Occident abstrait, il ne saurait y avoir un islam abstrait des conditions de vie des centaines de millions de musulmans qui vivent aujourd'hui à l'échelle planétaire l'exploitation, l'oppression et l'humiliation. Les puissances occidentales, otages d'une civilisation capitaliste indifférente au sort de la terre et de l'homme malgré tous les discours «écologiques» et «humanistes» ne sauraient contenir à long terme le désir de justice et de dignité que les musulmans cherchent à atteindre à travers leur religion et leur culture même si dans cette recherche symbolique légitime des errements idéologiques sont à déplorer et demandent à être corrigés pour rencontrer dans la paix et la réconciliation la figure de l'Autre. Tout ce qui brille n'est pas or. Loin des simplismes des «orientalistes» de pacotille, les islamistes dans le monde arabe constituent une mouvance idéologique et politique plurielle. Un pluralisme qui renvoie à une nature de classes et à une insertion dans la division internationale du travail fort complexes. S'ils se revendiquent tous de l'islam, ils sont loin de partager les mêmes analyses politiques et stratégiques ni les mêmes programmes. Si certains semblent bien s'accommoder d'arrangements douteux avec des puissances occidentales voraces pourvu qu'elles les aident à prendre le pouvoir, d'autres, et ils sont plus nombreux, ne sont pas dupes du nouveau cours «islamophile» de Washington, Londres et Paris… (Suite et fin) Mohamed Tahar Bensaâda