La progression fulgurante de la rébellion targuie (Mouvement national de libération de l'Azawad - MNLA) prend de court les analystes dont bien peu tablaient sur l'effondrement spectaculaire de l'armée malienne. Les combattants touaregs ont conquis sans coup férir ou presque l'ensemble du Nord-Mali et occupent toutes les villes importantes de la région. Dans les médias occidentaux, l'accent est mis sur le rôle du groupe salafiste Ançar Eddine dirigé par Iyad Ag Ghali et ses liens réels ou supposés avec l'organisation terroriste AQMI et le non moins terroriste et très nébuleux MUJAO. Les médias français en particulier sonnent le tocsin en annonçant la mainmise d'Al-Qaïda sur la ville de Tombouctou où selon diverses sources, la charia dans sa version la plus obscurantiste serait déjà imposée à la population par les hommes d'Iyad Ag Ghali. Pourtant, certains spécialistes de la région invitent à la plus grande prudence sur le rôle effectif de ces groupes terroristes et la réalité de leur influence sur le cours des événements. De fait, la plupart des organes d'information se basent sur des informations indirectes ou sur des témoins contactés par téléphone et dont la fiabilité n'est pas garantie. Cette sous-information nourrit les incertitudes et contribue à jeter sur une région du monde, vaste, peu connue et particulièrement difficile d'accès, un voile propice à toutes les interprétations. Pourtant, la situation radicalement nouvelle créée par l'expulsion brutale de l'Etat central malien d'une région structurellement instable mériterait certainement une information de bien meilleure qualité. Le MNLA publie des communiqués par lesquels il dément les assertions de certains organes de presse, notamment sur le contrôle de la ville de Tombouctou par Ançar Eddine dont il se démarque officiellement. Le MNLA avait également diffusé une déclaration de politique générale rassurante mais plutôt vague signée par Mahmoud Ag Ghali, président de son bureau politique. Ce n'est visiblement pas suffisant. Que l'on soutienne ou non ce mouvement et l'idée d'indépendance qui l'anime, il est essentiel que soient connues ses orientations idéologiques et la nature de ses alliances. Sinon, la menace d'interventions étrangères pourrait rapidement se réaliser, directement ou via des régimes clients de grandes puissances qui ne cachent pas leur volonté d'installer une présence militaire dans le Sahel. Car au-delà de l'Azawad et du Mali, c'est toute la région sahélo-saharienne qui est l'objet, depuis plusieurs années, d'une déstabilisation qui s'accélère depuis la chute du régime de Kadhafi. La sécession du Nord-Mali est un événement majeur qui ne pourra se résoudre que de manière politique. Plus vite seront réunies les conditions d'une négociation, moins l'épée de Damoclès d'un élargissement du conflit pèsera au-dessus de la région. Le coup d'Etat militaire à Bamako complique déjà la possibilité du transfert vers le politique d'un conflit armé. Ainsi, il apparaît clairement que l'équation de l'Azawad est lourde de trop nombreuses inconnues. En attendant le règlement de la question du pouvoir à Bamako, il est urgent que les dirigeants de l'Azawad diffusent leur programme politique et ouvrent les régions qu'ils contrôlent à la presse internationale. L'épouvantail islamiste, ignoré pendant les bombardements civilisés de la Libye, est agité de manière trop récurrente pour que l'on n'y décèle pas la construction d'un prétexte à immixtion étrangère.