Le discours présidentiel a fait un petit pas en cessant de vouer aux gémonies l'ouverture politique qui a eu lieu en Algérie dans la foulée des événements d'octobre 1988. Pendant longtemps, cette ouverture a été qualifiée de fausse réponse, voire de diversion. Depuis que les agitations politiques ont commencé à traverser le monde arabe, le discours officiel a décidé de mettre en valeur les événements d'octobre 1988. Mourad Medelci avait en effet présenté les événements de Tunisie et d'Egypte comme un «soulèvement populaire» qui n'est pas sans «rappeler ce que avons vécu nous-mêmes en octobre 1988». Désormais, ce n'est plus seulement les événements d'octobre qui sont réhabilités mais aussi la réponse réformatrice qui leur a été apportée. Mais on reste dans le discours. Car dans un contexte de guerre civile - le terme aussi n'est plus sacrilège puisque le très officiel Mourad Medelci l'a utilisé - toutes les avancées obtenues sous forme de réponse à la contestation d'octobre ont été grignotées et balayées en définitive. Il n'en reste que des journaux qui souvent servent de paravent au fait que l'espace politique a été réduit à sa plus simple expression. On est très loin d'avoir fait «l'apprentissage» qui aurait permis de renouer avec la «tradition de pluralité» du mouvement national évoquée par le président de la République dans son message à l'occasion de Youm El-Ilm. En réalité, le remède choisi, celui d'un retour à des gestions en cours avant octobre 1988 avec un décor de la pluralité a été préservé et entretenu avec application, a totalement entravé l'apprentissage nécessairement difficile après des décennies de fermeture. Aujourd'hui, le diagnostic du «printemps arabe» est difficilement séparable de la dépolitisation qui accompagne la caporalisation du champ politique et médiatique par les régimes autoritaires. Cette dépolitisation était perçue comme une sorte de gage de «tranquillité» - même l'islamisme version «salafisme scientifique» était encouragé pour battre en brèche l'islamisme qui fait de la politique - par les régimes en place. Manifestement, cette «tranquillité» était fausse et la dépolitisation réelle qui la sous-tend est des plus dangereuses. Le cas libyen a montré, de manière perturbante, à quel point l'absence de liberté et la dépolitisation ont créé une aptitude, nouvelle, d'une partie du corps social à solliciter l'extérieur contre le régime en place. Cela est un signe clair d'une régression abyssale dans des sociétés qui ont connu l'occupation coloniale et dont la ferveur patriotique ou nationaliste était indubitable. Les régimes ont stoppé le développement politique des sociétés qui comme partout ailleurs ont le droit d'aspirer à la liberté à s'organiser et à participer à la vie publique. Mais quand on n'avance pas, on recule. Il est devenu difficile aujourd'hui, en Algérie, d'intéresser les gens à la politique. La réussite du régime est, de ce point de vue, totale. A telle enseigne qu'il ne sait plus quel argument utiliser pour convaincre les gens d'aller aux urnes le 10 mai prochain. Or, il n'y a pas de solution miracle pour intéresser les gens à la politique. Il faut qu'ils soient convaincus qu'un parlement ce ne sont pas des députés «bien payés» et sans aucun pouvoir qui adoptent les lois sans discuter. Il faut qu'ils soient convaincus que les jeux ne sont pas faits d'avance et que leur vote a un sens. Aucun discours ne suffira pour cela. Le scepticisme est si fort qu'il revient aux détenteurs du pouvoir d'apporter la preuve qu'ils veulent vraiment que ça change et que les gens ne sont pas conviés à des élections formalités. Il faut que la politique reprenne sérieusement ses droits dans la pluralité et la liberté pour que l'espace national soit protégé contre les risques d'une dépolitisation régressive. L'apprentissage de la démocratie se fait par la démocratie. On n'apprend pas sans libertés, on désapprend.