« Si à Alger vous cherchez un coin propre, calme et serein pour souffler ou pour discuter, allez dans le métro.» Le propos est d'une sœur parmi les «gens du livre» qui a beaucoup vadrouillé en Algérie dans la proximité des humbles, au point de parler l'arabe comme une Algéroise. Elle avait inauguré avec émerveillement le métro après son retour du sud du pays en tenant à garder ce premier ticket historique. Comme beaucoup d'Algérois, elle avait cru ne jamais voir ce tunnel qu'on ne finissait pas de creuser. Et pourtant, il est là. Il a déjà ses habitués et il connaît un réel succès sur sa petite première ligne. Mais ce qui fascinait le plus notre curieuse amie est de voir, enfin, des Algériens calmes, avenants, souriants, parlant avec calme, sans hurler. «Il suffit de pas grand-chose», dit-elle. Un service public, même payant, qui fonctionne correctement, proprement, cela change tout. Et ceux qui prennent régulièrement le métro finissent par le constater. Les Algériens ne sont pas «anarchiques» par nature ou par on ne sait quelle déformation génétique. Ils deviennent «normaux», urbains, quand les choses fonctionnent et quand ils ne sont pas soumis à des situations de violence avilissante. C'était une évidence, mais on avait fini par en douter. A Alger, comme ailleurs, un état de non-ville créé par la défaillance des services publics secrète un climat propice à l'agressivité. Ceux qui ont la chance (c'est le cas de le dire !) de faire la ligne Haï Al-Badr Tafourah n'en finissent pas de constater et d'apprécier ce métro. C'est un havre de paix. Et un bon miroir. Le temps d'un trajet, les gens s'observent discrètement. Ils constatent que nous ne manquons pas, contrairement à ce qu'on a cessé de nous marteler, de civilité et de «tamadoun». Il ne suffit de presque rien. D'une organisation bien rodée et d'un travail qui se fait correctement. Tout devient simple. Le vrai drame politique de l'Algérie est que ce que nous savions faire dans les années 70, nous ne savons plus le faire aujourd'hui. Ceux qui prennent le métro finissent par comprendre que la haine de soi qui est insidieusement inculquée aux Algériens n'a pas de raison d'être. Le métro, parce qu'il fonctionne et qu'on y redevient ce que nous sommes, des humains capables de convivialité, souriant à l'émerveillement des enfants, est un révélateur du désordre urbain sans nom dans lequel nous baignons. C'est là, la première des violences. Celle qui enfante les tensions si fortement perceptibles dans la rue ou dans les bus. Il faut militer pour que le prix du métro baisse à 30 dinars afin qu'il y ait plus d'Algérois à l'emprunter. Pour qu'ils constatent à leur tour qu'on peut prendre un «transport en commun» en restant digne, humain, affable. Notre sœur du Livre serait heureuse de savoir que ces derniers temps un nombre croissant de jeunes filles lisent des livres des romans pas des livres scolaires ! durant le trajet. Les garçons ils retardent toujours, n'est-ce pas ? en sont toujours aux journaux de football mais ils finiront par faire comme les jeunes filles. C'est assurément un spectacle agréable dans un pays où la lecture n'a pas vraiment d'adeptes. Du coup, on se prend à rêver que les espaces toujours vides dans les stations pourraient s'animer avec des librairies qui donneraient envie de lire Saluons donc le métro, espérons une baisse du tarif. Nous attendons le tram ! Nous savons que nous sommes humains, «normaux» quoi qu'en dise le désordre d'en surface.