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Risque croissant des marchés dérivés
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 12 - 05 - 2012

Les produits dérivés peuvent porter sur des actions, sur des matières premières, sur de l'énergie, sur des devises, sur des obligations, ou même porter sur des éléments très différents. Les marchés dérivés sont, sans nul doute, les marchés les plus spéculatifs mais aussi les plus enviés.
La technicité de leur fonctionnement (l'étude des marchés dérivés relève notamment de la théorie des jeux) ainsi que l'évolution des cours des produits dérivés expliquent cet état de fait.
Le principal développement des marchés de produits dérivés s'est fait dans les trente dernières années. Les marchés dérivés ont commencé à se développer aux Etats Unis à partir des années 1970. Il a été affirmé que les innovations financières améliorent le fonctionnement des marchés et permettent une meilleure gestion. La volatilité des taux de change et des taux d'intérêt a donné à ces marchés qui sont «dérivés» des marchés au comptant. Sur ces marchés s'échangent des risques de taux, d'intérêt, d'indices, etc. Les produits dérivés permettent à partir de mises de fonds faibles d'obtenir des effets de levier considérables.
TYPOLOGIE DES PRODUITS DERIVES
Contrairement au marché Actions ou au marché Obligations, le marché dérivé appelé aussi marché des produits dérivés n'est pas un marché d'actifs. En effet, quand vous achetez une action, vous détenez une partie du capital de l'entreprise et une partie des droits de vote. C'est un actif. Si l'on suppose que vous détenez non pas une action Sonatrach mais une option d'achat Sonatrach (type de produits dérivés), vous n'avez pas le droit au dividende, ni au droit de vote. Il vous sera par contre possible d'acheter à un cours déterminé pendant une période déterminée une action Sonatrach. Ainsi au lieu d'immobiliser une grande quantité de capitaux, vous n'investissez que peu de capitaux, ce qui conduit à un effet de levier nettement supérieur.
Il existe plusieurs types de produits dérivés. Certains sont plus spéculatifs que d'autres. Certains sont réservés aux spéculateurs avertis alors que d'autres peuvent être aisément utilisés par les particuliers pour couvrir une partie de leur portefeuille. Nous les énumérons donc par ordre de technicité:
l Warrants: Ils ne désignent pas réellement des produits dérivés. Il s'agit de valeurs mobilières, comme les actions, qui peuvent être échangés sans condition particulière. Les warrants ont toutefois un certain nombre de caractéristiques identiques à celles des produits dérivés au sens strict du terme.
MONEP: Créé dans les années 80, le MONEP permet aux investisseurs avertis de couvrir leurs portefeuilles mais aussi de spéculer. Attention ! Il est possible de perdre plus que ce qui a été investi à l'origine. Le MONEP est le marché privilégié des options.
MATIF : A l'origine axé sur les taux d'intérêts, le MATIF permet à présent de spéculer sur les évolutions du CAC 40. Les futures sont négociés sur ce marché.
Les marchés dérivés au sens strict sont donc dédiés aux investisseurs très avertis, et à fuir pour les débutants. Ceci explique en partie que de nombreux brokers demandent plusieurs garanties afin de limiter ces marchés à certains investisseurs.
CREDIT DEFAULT SWAP
Un Credit Default Swap (CDS) est un contrat par lequel un vendeur de protection (Protection Seller) s'engage, contre le paiement d'une prime, en cas d'événement (credit event) affectant la solvabilité d'une entité de référence (Reference Entity), à dédommager l'acheteur (Protection Buyer).
Remarques:
A l'exception de l'échange de la prime, aucun flux monétaire n'intervient tant qu'il n'y a pas de réalisation de l'événement de crédit stipulé à la négociation du contrat.
Il n'est pas nécessaire d'être effectivement exposé au risque sur l'entité de référence pour entrer dans un contrat de CDS.
Il n'est pas nécessaire que l'entité sous-jacente soit en cessation de paiement pour que la garantie stipulée par le CDS soit déclenchée. Suivant les termes du contrat, l'événement de crédit peut être la faillite, mais aussi une restructuration, et d'autres événements. La valeur du CDS est directement liée à la qualité de la signature de l'entité de référence, c'est pourquoi le CDS est un produit dérivé, plus précisément un dérivé de crédit puisque le sous-jacent est un crédit accordé à l'entité de référence. Par ailleurs, mis à part la prime, le CDS ne génèrera des flux financiers qu'en cas de réalisation d'un événement de crédit portant sur l'entité sous-jacente. Le CDS fonctionne donc comme une option, ou comme une assurance.
Les CDS se négocient de gré à gré. Il n'y a pas de standardisation des contrats ni de marché organisé. Toutefois, suite à l'explosion du marché et aux problèmes posés par les défauts de grands établissements sur lesquels il y avait un encours énorme de CDS, des projets de création d'une chambre de compensation pour le marché des CDS sont en cours. Les CDS font donc partie des « dérivés OTC » (Over The Counter). A l'exception de la prime, qui fait l'objet d'un transfert monétaire, le CDS constitue un engagement pour le vendeur, et une assurance pour l'acheteur. Il est donc comptabilisé au hors-bilan.
CARACTERISTIQUES DES CDS
Sens (direction): le sens s'entend par rapport à la protection. L'achat de CDS engage à verser la prime et à livrer l'actif sous-jacent en cas de défaut de l'entité de référence et de dénouement physique. La vente de CDS engage à dédommager la contrepartie du contrat en cas de défaut de l'entité sous-jacente.
Contrepartie: les CDS étant des contrats de gré à gré, la contrepartie est toujours connue. A noter que l'acheteur de protection, s'il limite son risque par rapport à l'entité de référence, devient exposé au risque sur le vendeur de protection. C'est ce qu'on appelle le risque de double défaut (défaut du débiteur et défaut du garant du débiteur).
Convention cadre : comme tout contrat de gré à gré, les CDS se négocient sous une convention cadre qui définit l'ensemble des conditions «non économiques» (ie légales et opérationnelles) du contrat. La convention cadre la plus utilisée est celle de l'ISDA (International Swap and Derivatives Association)
Entité de référence : l'entité de référence est un émetteur qui peut être de toute nature : corporate, banque, Etat,…
Actif sous-jacent: l'actif sous-jacent est l'emprunt émis par l'entité de référence. Il peut s'agir d'une créance commerciale ou bien d'un titre obligataire.
Nominal: c'est le montant total garanti par le CDS.
Maturité: date d'échéance du contrat.
Evénement de crédit (credit event) : il s'agit du ou des événements entamant la solvabilité de l'entité de référence et qui sont donc susceptibles de déclencher le règlement du CDS. Ils sont sélectionnés par les parties lors de la négociation du contrat parmi les événements standard proposés par l'ISDA : Bankruptcy, Obligation acceleration, Obligation default, Failure to pay, Repudiation / moratorium et Restructuring.
Prime (premium): montant payé par l'acheteur de protection au vendeur. La prime est exprimée en pourcentage annuel (ou en points de base) du nominal. Elle est payable périodiquement, par exemple tous les trimestres.
Les montants des primes (ou spreads) payées sur un émetteur donné donnent une indication de l'appréciation qu'a le marché de la qualité de cet émetteur. Ces montants font d'ailleurs l'objet d'une large diffusion par les fournisseurs de données de marché de même que les spreads payés sur les emprunts obligataires.
Mode de dénouement : en cas de réalisation de l'événement de crédit, le contrat fait l'objet d'un dénouement (setlement). Celui-ci peut être:
Physique: le vendeur de protection paie à l'acheteur le montant notionnel du swap, et l'acheteur livre au vendeur une quantité convenue des actifs émis par l'entité de référence (créances, obligations) prévus par le contrat.
Cash: le vendeur de protection paie à l'acheteur un montant d'espèces égal au montant notionnel du swap multiplié par la différence entre un prix de référence pour l'actif (généralement 100%) et la valeur de marché de l'actif de référence lors du dénouement. L'acheteur est ainsi exactement dédommagé de la chute de la valeur de marché de l'actif de référence.
Valorisation: le pricing d'un CDS consiste à déterminer le montant de la prime que doit payer l'acheteur de protection pour qu'il soit totalement indemnisé en cas de défaut de l'entité de référence. Il tient donc compte de la probabilité de défaut de celle-ci, du taux de recouvrement prévu en cas de défaut, et bien sûr de la durée de vie du CDS.
Remarque : la valorisation de produits dérivés (recherche du juste prix d'un produit dérivé) est réalisée en général par des techniques basées sur les processus de diffusion (modèle de Black and Scholes), ou de manière moins analytique et plus empirique par d'autres modèles dynamiques combinés à des estimations de type Monte-Carlo. Le choix d'une gestion optimale de produits dérivés de couverture est un problème complexe d'optimisation dynamique, géré par programmation dynamique (éventuellement couplée à de la décomposition) ou par renforcement.
ORGANISATION DU MARCHE DES CDS
Comme on l'a dit plus haut le marché des CDS est un marché de gré à gré. Il existe cependant des acteurs spécialisés. Certains ont d'ailleurs explosé en vol. Les plus exposés sont ceux qui ont développé massivement une activité de vente de CDS au cours des dernières années. Fort lucrative pendant longtemps, cette activité a généré des pertes colossales, fatales à certains, lors de l'explosion de la bulle du crédit en 2007-2008.
Un acteur central du marché des CDS est l'ISDA, qui propose un contrat-cadre très utilisé, ainsi qu'une définition des événements de crédit. L'ISDA, conjointement avec d'autres organisations joue également un rôle central dans l'organisation des dénouements des contrats lors d'événements de crédit frappant un acteur important (voir l'actualité financière…) par un mécanisme d'enchères.
Le marché est toutefois en train de «s'organiser», les acteurs privés avançant à marche forcée pour éviter que cette organisation ne leur soit imposée d'en haut par les autorités de tutelle. L'agent de calcul (calculation agent) est chargé de la valorisation du CDS. Il s'agit généralement d'un teneur de marché (market maker), et ce peut être le vendeur du CDS.
A noter enfin que les CDS sont très souvent utilisés dans les montages de produits structurés tels que les CDO (*) et CDO synthétiques.
(*) Le CDO (Collateralised Debt Obligation) est un produit financier qui s'est réellement développé fin 90 début 2000. Les CDOs sont des titres représentatifs de portefeuilles de créances bancaires ou d'instruments financiers de nature variée. Au même titre que la titrisation et les dérivés de crédit, ces produits de finance structurés sont issus de montages complexes, répondant à différents besoins tels que réduire les coûts de refinancement, exploiter des opportunités d'arbitrage et surtout se défaire du risque de crédit. Toutefois, quelle que soit leur forme, les CDOs ont en commun d'être émis en différentes tranches de la même façon que l'on titrise une créance. Ainsi l'émetteur vend aux investisseurs des produits plus ou moins risqués selon la tranche choisie.
RISQUES DES PRODUITS DERIVES
Le marché mondial des produits financiers dérivés est énorme et en forte expansion. Les questions qui se posent aujourd'hui sont : Pouvons-nous faire confiance aux marchés des produits dérivés ? Peuvent-ils être toxiques ? Les produits dérivés peuvent-ils exposer les marchés financiers à des effets secondaires catastrophiques ? Nul ne le sait vraiment ! Nous devons évaluer les risques des produits dérivés en se fondant sur des suppositions, des théories et des conjectures. Mais l'effet destructeur potentiel de ces titres obscurs, opaques, est très discuté. Les défenseurs des produits dérivés financiers avancent souvent des arguments comme: «Certes, les marchés des produits dérivés sont énormes sur une base brute mais relativement modestes sur une base nette». Selon cette logique, une banque qui a acheté pour une valeur de 1 000 milliards de dollars de swaps de taux d'intérêt espagnols à un premier vendeur mais qui a vendu à son tour pour 1 000 milliards de dollars de swaps de taux d'intérêt espagnols à un tiers a une «exposition nette» nulle. D'un point de vue mathématique, cette assertion est juste. D'un point de vue réaliste, c'est une illusion. Si les marchés financiers doivent buter sur un nid-de-poule ou deux, cette «exposition nette nulle» a le potentiel de se comporter beaucoup plus comme une exposition brute de 2 000 milliards de dollars. Comment ? C'est très simple. Si l'une des parties ou plusieurs parties de ces énormes transactions manque à ses obligations, elle déclenche un effet domino. Très simple... et pas difficile à imaginer.
FAILLITE DE LEHMAN BROTHERS
La faillite de Lehman Brothers en 2008 n'a pas uniquement sonné le glas d'une banque d'investissement prestigieuse mais également celui d'une importante contrepartie à plusieurs contrats de produits dérivés. Suite à la faillite de Lehman, des milliards de dollars «d'exposition nette nulle» sont du jour au lendemain devenus des milliards de dollars d'exposition pure et simple, c'est-à-dire de risque non couvert. C'est à ce moment que le Trésor US a arrêté la cascade de dominos à coups de milliers de milliards de dollars de billets fraîchement imprimés et de garanties gouvernementales.
Résultat: les dominos ont non seulement cessé de tomber mais les banques de Wall Street ont également pu rapporter leurs dominos renversés à la Fed pour les échanger contre de l'argent liquide. Mais qu'arrivera-t-il la prochaine fois ? La puissance de crédit et la complaisance de l'Etat américain suffiront-elles pour empêcher une catastrophe sur les marchés des produits dérivés ?
Nul ne le sait et encore moins les banques assises au-dessus de cet énorme tas fumant d'expositions au risque.
«EXPOSITION NETTE»
Sur les marchés des produits dérivés, le terme «exposition nette» sous-entend un sentiment de certitude et de fiabilité, un sentiment d'équilibre finement calibré. En réalité, vue de plus près, «l'exposition nette» ressemble à deux ivrognes appuyés l'un sur l'autre. L'équilibre net entre les deux ivrognes est le seul facteur de risque pertinent, avancent les défenseurs. Tant que les deux ivrognes s'appuient l'un sur l'autre, tous deux peuvent s'enfiler autant de verres qu'ils le veulent. Sur une «base nette», ils se comportent comme s'ils étaient complètement sobres. Mais que se passe-t-il si l'un des ivrognes tourne de l'œil et tombe à la renverse au lieu de pencher vers son compère ? «Cela n'arrivera pas», telle est la réponse experte de l'industrie des produits dérivés. «Aucune crainte à se faire. Les quatre plus grandes banques opérant sur les marchés des produits dérivés maintiennent des niveaux d'exposition nette tout à fait raisonnables». Or, il faut tout de même se dire que ces niveaux d'exposition nette ne sont raisonnables... que jusqu'au moment où ils ne le seront plus ! En outre, ces expositions augmentent rapidement. Depuis 2000, la valeur nominale des encours sur les produits dérivés américains a augmenté 10 fois plus vite que le PIB mondial. Au dernier comptage, les banques américaines avaient créé plus de 200 000 milliards de dollars de produits dérivés, selon l'Options Clearing Corporation. Il s'agit d'une somme colossale, équivalente à environ trois fois le PIB mondial !
Encore plus effrayant, cet hallucinant amas de risque est fortement concentré à l'intérieur même de l'industrie financière. A elles seules, quatre banques détiennent 94% de tous les encours sur les produits dérivés. L'exposition de JP Morgan à elle seule est supérieure au PIB mondial... tandis que l'exposition brute de Bank of America, Citigroup et Goldman Sachs n'est guère très loin. De son côté, la Bank for International Settlements (BIS) a estimé le marché mondial des dérivés à plus de 681 mille milliards de dollars d'encours au 31 décembre 2007 (ce montant est dix fois plus élevé que le total des PIB mondiaux cumulés) et celui du seul marché des CDS à plus de 62 mille milliards de dollars. Quand on compare le montant nominal des produits dérivés OTC (over-the-counter) de 708 000 milliards de dollars (583 000 milliards en juin 2007) avec le PIB mondial d'environ 62 000 milliards, on comprend très vite l'énorme risque que représente ce secteur pour les marchés financiers.
La Banque des règlements Internationaux (BRI) a publié un montant global du marché des dérivés au 30 juin 2011 : tous types de contrats confondus, la valeur nominale à fin juin a augmenté, en six mois, de 107 000 milliards de dollars. La valeur du marché brut, qui mesure le coût total de replacement de tous les contrats existants et qui permet de mieux apprécier le risque que la mesure en valeur nominale, a baissé de 1 800 milliards, s'établissant à 19 500 milliards (juin 2007 : 24 700 milliards), ce qui est considérablement plus que le PIB des Etats-Unis (15 000 milliards de dollars). Les souscriptions de contrats à terme et optionnels sur les taux d'intérêt ont crû très rapidement depuis le début du millénaire. La BRI s'abstient de tout commentaire sur ces évolutions, mais les chiffres parlent d'eux-mêmes. Il apparaît clairement que toutes les déclarations proposant de réglementer les marchés financiers sont des paroles en l'air. Tout contrôle des activités spéculatives et la limitation de leurs excès restent une vue de l'esprit.
Conclusion
En dépit de la crise financière et malgré le manque de liquidité de la plupart des produits dérivés, le marché dérivé continue de croître de façon exponentielle par rapport à l'économie réelle.
L'ampleur des montants échangés sous forme de dérivés reflète le niveau important de risque que les acteurs du marché sont prêts à prendre. Les marchés financiers jouent à la loterie en faisant des paris sur le futur et ne remplissent plus leur rôle d'encadrement du risque. En jetant un seul œil sur le montant actuel des positions ouvertes, on se rend très vite à l'évidence qu'il pourrait très bien être la source de quelques nouvelles crises, encore plus aigües que les précédentes.
*Consultant en management
Principales références : Finaxys, Eric Fry, Eberhardt Unger.


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