La victoire du FLN a retenti jusqu'aux berges du Bosphore et à fait réagir les journalistes des pays africains et du Maghreb en particulier, chacun selon la conception qu'il se fait du «changement.» Après un forum sur la coopération entre les médias turcs et leurs homologues africains tenu à Ankara, durant deux jours, les journalistes de 54 pays membres de l'Union africaine, ont atterri, jeudi soir, à Istanbul, pour s'imprégner, le temps d'une visite touristique, des merveilles historiques et civilisationnelles de cette splendide métropole. Leur arrivée à Istanbul a eu lieu vers les coups de 21h, heure locale, c'est-à-dire 19h heure algérienne, le moment où les bureaux de vote commençaient à fermer. Les élections législatives algériennes intéressaient à plus d'un titre les invités africains de la Turquie. Les raisons sont connues : un pays qui fait partie du monde arabe mais qui n'a pas eu son «printemps », des contestations sociales nombreuses mais sans pour autant exiger le départ du président, un pays visé par les complots étrangers mais qui reste stable et surtout uni. C'est en tout cas ce qui se laisse entendre par plusieurs journalistes africains. Les premiers confrères à se prononcer sur ce qui se passe aux frontières Sud du pays, un ressortissant du Niger qui ne cachait pas ses inquiétudes à propos de la sécurité et de l'instabilité que vit la région du Sahel. « Nous sommes très inquiets au Niger. Les autorités maliennes sont très laxistes, elles ferment les yeux sur l'importante quantité d'armes qui rentrent de la Libye mais qui passent par notre pays, » nous raconte-il. Seule consolation selon lui « la puissance de l'Algérie pour tenir tête aux comploteurs. » Il estime que « l'Algérie est un pays qui ne se laisse pas faire, non seulement ses autorités refusent qu'on s'ingère dans ses affaires internes mais aussi parce qu'elle a les moyens matériels de faire face aux pressions et agressions qui pèsent sur elle. » Un journaliste du Mali craint lui, le pire après la prise des otages algériens. «Nous vivons de gros problèmes, on ne sait pas comment ça va se terminer, » affirme-t-il. LA VICTOIRE DU FLN AU MENU TURC-AFRICAIN Reste que « le fait du jour » pour les hôtes d'Istanbul était incontestablement les élections législatives algériennes qui venaient de se tenir tout au long du jeudi dernier. «Alors, les résultats ?» interroge un journaliste togolais. Les tendances n'étaient pas encore connues mais il se disait optimiste «parce que les Algériens ne se laissent pas faire,» selon lui. C'est vers 22h, heure turque, que les premières estimations sont tombées. «Alors, les élections ?», a alors interrogé un confrère mauritanien. «C'est le FLN qui a raflé la mise,» lui avions-nous dit. L'on ne s'attendait pas du tout à une telle réaction. «Bravo les Algériens, vous avez su sauvegarder votre stabilité ! Nous étions sûrs que vous n'allez pas sombrer dans la révolte,» a-t-il lâché. Son collègue du même pays a félicité les journalistes algériens présents à Istanbul pour «appartenir à un pays qui sait comment renverser les tendances.» Les journalistes marocains ont exprimé le même enthousiasme. «Vous vous défendez bien ! Félicitations ! », nous a dit l'un d'entre eux. Nos confrères égyptiens étaient tout contents de retrouver des Algériens autour d'un bon café turc. «C'est débile de croire que nous ne pouvons pas nous entendre, on vous aime bien,» a déclaré le plus sympathique d'entre eux. Il faut reconnaître qu'ils l'étaient tous. Connus pour leurs mots pour rire, nos confrères d'Egypte ont salué « la victoire du FLN qui ne servira jamais des intérêts étrangers comme c'est le cas ailleurs,» estiment-ils. Un confrère de l'Ile Maurice était lui aussi bien content que « les élections aient été tenues sans qu'il y ait des problèmes. » « GHANOUCHI EST UN LAIC» Les Libyens n'ont pas changé de discours. Ils sont restés bloqués au niveau de l'épisode de l'accueil par l'Algérie de la famille Kadhafi. « Vous n'avez pas soutenu la révolution, » reprochent-ils encore. Reste à savoir si en tant que journalistes, ils suivent les développements des relations entre l'Algérie et la Libye, enregistrés ces derniers mois, notamment depuis la visite de Abdeljalil Ceux qui nous ont étonnés par leur réaction à propos des résultats des législatives, ce sont nos confrères tunisiens. Ils n'ont pas caché leur mécontentement au sujet de la victoire du FLN. « Avec le FLN, il n'y aura pas de changement en Algérie, en principe, ce sont les partis islamistes qui devaient gagner, » nous dit l'un d'entre eux. « Le changement doit impérativement passer par les islamistes ? » lui avions-nous demandé. « Le FLN c'est le pouvoir, on ne peut changer de gouvernance si on ne tranche pas définitivement avec le passé, » répond-il. Curieusement, notre interlocuteur lie le changement politique dans le monde arabe à l'avènement des islamistes au pouvoir. « Tout le monde craignait Ghanouchi chez nous mais c'est un laïc, un démocrate, et respectueux des libertés, il peut faire des erreurs bien sûr, tout le monde fait des erreurs, l'essentiel est que la Tunisie avance, » explique-t-il. « A chacun ses convictions ! », lui lance un confrère mauritanien. Le Tunisien relance le débat. « Il faut laisser la place aux jeunes, on ne peut faire du neuf avec du vieux, » a-t-il affirmé. « Vous parlez de jeunes de physique ou de mental ? », avions-nous interrogé. Invitée elle aussi par les Turcs, une bloggeuse tunisienne est apparue dans le champ de la discussion pour plus chahuter que discuter. «Vous pensez que votre bloggeuse pourra gérer un pays en mutation ? » interroge un confrère du Benin. « Oui, c'est vrai que les jeunes manquent d'expérience, mais ils apprendront, » répond le Tunisien. Vendredi, le journaliste tunisien nous fera remarquer que les résultats n'avaient pas encore été donnés. «On attend comme vous les confirmations, on suit les informations sur les chaînes étrangères, mais il ne faut pas trop les croire parce qu'en écoutant leurs commentaires, les envoyés spéciaux de certaines d'entre elles semblent ne rien connaître, ni de l'Algérie, ni des Algériens, » lui avions-nous fait remarquer. A la fin de la journée, le FLN s'installe dans sa victoire et notre confrère tunisien n'avait plus posé de questions sur les résultats. CES SEQUENCES SOUFIES QUI RAPPELLENT LA MORT Le soir de la clôture du forum, qui s'était tenu les 9 et 10 mai derniers, les invités ont été ravis par le spectacle qui leur a été offert. La soirée a été inaugurée par des airs de musique turque marquée par de belles touches de cithare ou kanoune, un instrument très turc. Le spectacle des derviches tourneurs qui a suivi, a émerveillé l'assistance. Beaucoup de confrères africains découvraient pour la toute première fois, ces séquences soufies qui rappellent la mort comme le début de la vraie vie. Une danse traditionnelle turque est venue après, décontracter les esprits qui s'étaient quelque peu arrêtés au niveau de la djellaba noire des derviches tourneurs symbolisant la mort. Habillés en tenues très colorées, les danseurs étaient d'une agilité artistique très élégante. C'est la derbouka qui menait le rythme. Elle s'éclipsera plus tard devant le kanoune et la flûte, qui en exécuteront les notes finales. Les invités africains tiendront à faire entendre leur voix à leurs hôtes turcs. Habillées en tenues de soirées, deux Africaines ont interprété une chanson avec succès. La voix d'une d'entre elles était d'une beauté inouïe. Les responsables du restaurant ont à la fin de la soirée, diffusé la fameuse chanson de Chakira, du temps du mondial. Entraînés par un rythme bien africain, beaucoup de consœurs et confrères n'ont pas pu s'empêcher de danser. C'était l'Afrique dans toutes ses couleurs. L'Afrique qui danse et chante pour exprimer ses joies mais aussi pour exorciser ses peines. Le forum turco-africain a permis d'établir un contact entre deux régions totalement différente l'une de l'autre. Mis à part l'Algérie particulièrement, plus que les autres pays du Maghreb, les Turcs ne connaissaient pas le reste de l'Afrique. Le continent noir leur était totalement étranger. « Vous nous invitez aujourd'hui pour discuter d'un éventuel partenariat entre l'Afrique et la Turquie mais savez-vous qu'il y a plusieurs Afriques, pourquoi alors nous parler ensemble et ne pas opter pour des relations bilatérales ? » a interrogé une consœur camerounaise tout au début de l'ouverture du forum. «Comment voulez-vous qu'on communique ensemble alors qu'à mon arrivée à l'aéroport, personne n'a compris ce que je disais ? » a-t-elle relevé. « La prochaine fois, je viendrai moi-même vous accueillir parce que je parle 8 langues, » lui a lancé le modérateur de la plénière. «JE CONNAIS TIPAZA » A la lecture de la déclaration finale du forum, la même camerounaise et son groupe se sont mis à rouspéter parce qu'ont-il dit « nous n'avons pas été consultés sur le contenu de la déclaration. » Présent à la clôture des travaux, le vice-premier ministre truc a expliqué que la déclaration en question « n'a pris aucune décision, elle fait part de cette première prise de contact entre nous. » La consœur camerounaise ne l'entend pas de cette oreille et demande encore une fois la parole. « Dis tout ce que tu as dans ton cœur, » lui conseille la bloggeuse tunisienne en gesticulant fortement. « Nos consœurs se trompent de tribune, habituées qu'elles sont nous disent ceux qui les connaissent, la première aux forums de droits de l'homme, de la liberté de la presse et autres manifestations de soutien « opprimés », et la seconde, à la révolution à la facebook.» Avant le dîner, le vice-premier ministre turc a fait le tour du jardin pour saluer les journalistes qui contemplaient un beau coucher du soleil à l'horizon. « Vous êtes de Jazaïr, je connais Tipaza que j'ai visitée quand j'étais venu dans votre pays en tant que président de l'Assemblée, » nous avez-il dit. Assis autour de la même table, Egyptiens, Algériens et Mauritaniens avaient bien rigolé ce soir là. «Vous savez que le gouvernement mauritanien vient de supprimer le Ould des identités des Mauritaniens, regardez c'est un passeport biométrique que j'ai, mais il n'y a pas de Ould dans mon nom alors que je l'avais dans mes anciens documents d'identité,» nous a fait savoir un confrère mauritanien. Il nous expliquera que cette suppression est pour faciliter l'inscription des noms de famille mauritaniens sur les nouveaux imprimés « dont les cases ne suffisent pas à toutes les lettres. » Il précisera quand même, que ce n'est pas une obligation. « Celui qui veut garder son Ould, peut le garder, » dit-il. Drôle qu'il est, notre ami mauritanien enchaîne que « nous avons un surplus de Ould, on peut vous en envoyer en Algérie puisque vous n'avez qu'un seul, c'est Ould Kablia. » Il prévient que « si votre ministre vient chez nous, il repartira sans son Ould ». Nos confrères marocains ne laisseront pas passer l'occasion de cette rencontre turque pour interroger sur les éventualités d'ouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc. « Ça se fera bien un jour, » leur avions-nous répondu.