L'Egypte est entrée, hier, dans un «silence électoral» de deux jours, en prélude aux deux jours de scrutin, mercredi et jeudi, où les électeurs devront désigner un successeur à Hosni Moubarak dont les pouvoirs sont exercés depuis sa démission par un Conseil militaire. C'est une élection qui précède la révision de la Constitution et laisse en l'état, les germes d'un conflit sur les prérogatives futures du président, ceux du parlement et, last but not least, le statut de l'armée dans la nouvelle configuration politique. En l'absence d'un accord entre les différentes parties, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) semble tenter d'agir unilatéralement en proclamant un « complément constitutionnel » pour définir les prérogatives du futur président. Pour l'heure, le pays est dans un vide juridique. La Constitution qui existait sous Moubarak a été suspendue et la rédaction de la nouvelle au point mort. L'élection présidentielle risque de ne pas être le signal de la fin de la transition. L'Egypte qui a connu une campagne électorale vigoureuse menée par une douzaine de candidats, ponctuée par un débat télévisé sans précédent dans l'histoire du pays en les deux présumés favoris, Al-Mouneim Aboul Foutouh, ex-membre des Frères musulmans, et Amr Moussa, ex-ministre des Affaires étrangères de Moubarak, va à une élection avec de grosses incertitudes politiques et juridiques. Le rôle et le statut de l'armée, accusée de s'accrocher au pouvoir, est au cœur de cette incertitude. DEUX ISLAMISTES CONTRE DEUX ANCIENS DU REGIME L'élection va se jouer autour d'un quatuor, deux islamistes et deux « anciens » du régime. Les Frères musulmans qui ont fait une volte-face en présentant un candidat, l'ingénieur Mohamed Morsi, une « roue de secours » après l'invalidation de la candidature de leur homme fort, le richissime, Khaïrat al-Chater, ne partent pas nécessairement gagnant dans la bataille. Leur plus grand adversaire est Abdelmoneim Aboul Foutouh, autre islamiste qui a été dirigeant de l'organisation des Frères Musulmans avant d'en être exclu l'année dernière. Il a mené une campagne brillante en réussissant le tour de force de se donner la stature d'un « islamiste libéral » soutenu aussi bien par des progressistes que par les salafistes. Le fait d'avoir été exclu de l'organisation des frères musulmans a beau le priver du soutien d'un puissant appareil, il ne le défavorise pas au sein de l'opinion. Au point de paraître, le favori de cette élection. En face, deux figures de l'ancien régime, en l'occurrence Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et ex-ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak et Ahmad Chafiq, ultime Premier ministre du raïs. Pour faire face à ceux qui les traitent d'hommes de l'ancien régime, ils mettent en avant l'impératif de la stabilité du pays et aussi le risque que fait porter l'inexpérience des affaires de l'Etat de leurs adversaires islamistes. «100% HONNETES ET TRANSPARENTES» En dehors de ce quatuor, certains candidats tentent de se donner une existence politique comme le candidat de la gauche nassérienne Hamdine Sabahi (gauche nassérienne) ou du militant syndicaliste Khaled Ali. Les égyptiens vont voter avec une question ouverte sur l'attitude de l'armée. Officiellement, elle va remettre le pouvoir à un président civil. Et le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a promis une élection «100% honnête et transparente». Mais beaucoup restent sceptiques, l'armée, aux intérêts politiques économiques et politiques importants, est de facto appuyée par l'occident pour empêcher une remise en cause de l'ordre géopolitique régional. C'est dire que son « retour aux casernes » n'est pas évident. Il est clair que les militaires s'accommoderont avec des gens « connus » comme Amr Moussa ou Ahmed Chafiq. Mais dans le cas qui n'a rien d'improbable de la victoire d'un des deux candidats islamistes, les relations pourraient être tumultueuses.