Quatre longues heures de discussions entre Abdelaziz Belkhadem et le comité des sages du parti n'ont pas permis de dépasser la crise qui secoue le FLN depuis près de deux ans. C'est hier que le secrétaire général du FLN a convoqué les membres du Comité central (CC) pour discuter d'un ordre du jour consacré à l'évaluation des résultats des législatives, la préparation des locales, le bilan du parti avec à la clé les comptes financiers ainsi que les problèmes organiques. Il a fallu compter sans la ténacité des contestataires qui dès leur entrée dans la salle ont démonté la tribune où devait siéger le bureau de la réunion, à coup de force, en jetant par terre tout ce qu'il y avait dessus comme micros, bouteilles d'eau, de jus et des fleurs. La salle a été mise sens dessus dessous. L'on dit que les contestataires en sont arrivés aux mains avec ceux qui voulaient les empêcher de sévir. Leur seul but est de faire partir Belkhadem de son poste de secrétaire général du parti. Il faut dire que les rôles étaient déjà distribués bien avant que le CC ne se tienne. Ils étaient nombreux, hier, à venir au complexe de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger, qui pour soutenir Belkhadem, qui pour crier sa destitution. Très tôt le matin, les premiers arrivés des militants du parti qui ne sont pas membres du CC ont été empêchés d'approcher le portail de l'hôtel El Ryadh par des hommes habillés en costume noir et chemise blanche qu'on dit appartenir au corps de la sécurité présidentielle. D'autres badgés en rouge mais en tenue «civile», en tenue de ville, jeunes, agiles, avaient été plantés à tous les coins de l'hôtel pour tenir le rôle de vigiles. «On nous a ramenés de Tipaza, de Médéa, de Tiaret et d'autres villes, ils nous ont donné de l'argent, des sandwichs et ils nous ont demandé de ne laisser personne rentrer à l'hôtel sans invitation». Un militant s'approche de nous et dit «c'est Souhali (membre CC Médéa) qui les a achetés pour semer la fitna. En principe, ils ne doivent pas être là, ils ne sont pas de la wilaya d'Alger. Ils veulent qu'on arrive aux mains, ils veulent nous provoquer». Un militant fait savoir qu'«ils leur ont donné des bâtons, si Belkhadem n'est pas plébiscité, ils promettent de massacrer les contestataires». C'est peut-être pour empêcher que ça ne se termine en bastonnade que le lourd dispositif composé de plusieurs fourgons et véhicules tout-terrain de la gendarmerie était stationné tout le long de la rue. De nombreux gendarmes étaient en faction sur les lieux. Il y avait aussi et surtout beaucoup de policiers en civil et de nombreux éléments de la DSP (direction de la sécurité présidentielle), certains qu'on croisait lors des sorties officielles du président sur le terrain. VIOLENTES DIATRIBES POUR UN DEPART FORCE Il était évident que les journalistes soient interdits d'entrer tout autant que les membres indésirables. Dans la rue, face à l'hôtel Ryadh, de nombreux militants venus d'une vingtaine de wilayas scandaient leur hostilité à Belkhadem. «Aimons-nous les uns les autres, le FLN est indivisible», était inscrit sur une pancarte tenue par un militant qui a dit être d'Alger. D'autres pancartes, certaines vertes affichaient «FLN, Belkhadem protecteur de la corruption et des malversations», d'autres rouges sur lesquelles était écrit «Belkhadem Irhal (dégage) !». Les militants contestataires qui parlaient le plus s'étaient présentés aux journalistes comme étant les coordonnateurs du mouvement de l'authenticité et du redressement. «Celui qui a vendu le pays doit partir, Belkhadem est une calamité, une catastrophe pour le parti, il doit partir pour le bien du pays, du parti et de l'histoire», n'a eu de cesse de répéter Tebbani, coordonnateur de la wilaya de M'sila. Des militants de Chlef, Tébessa, Saïda, Tizi Ouzou, Médéa, Blida, Jijel, Annaba demandaient tous la destitution de Belkhadem. «Nous sommes contre le comportement du SG et non contre sa personne, le responsable qui ne respecte pas les textes qu'il a adoptés, on ne le respecte pas non plus», disent certains. « Il a fait du parti sa priorité pour l'accaparer, la base ne l'appelle pas de son nom mais Belkhaïne», disent d'autres. Pour d'autres, «il prend des décisions unilatérales, mais nous les militants, nous devons laver cet affront». Le représentant de Médéa lâche « il n'a réussi ni en tant que SG, ni en tant que ministre, ni en tant que chef du gouvernement, qu'il parte alors !». Beaucoup des contestataires s'interrogent «pourquoi refuse-t-il l'urne, où est la démocratie ?» «Et il veut être président ?» « Le parti est trop grand pour lui». «Le parti historique a besoin d'hommes historiques, il faut qu'il laisse la place». « J'ai des preuves qu'il a permis à la chkara d'acheter les places sur les listes», dit le coordonateur de M'sila. «Il est pratiquant et il fait dans la corruption», renchérit un autre. «C'EST UNE LEGITIMITE BATIE SUR LA CHKARA» En face et parfois sur le même trottoir s'affrontent les pour et les contre Belkhadem. «Nous sommes avec la direction du parti, ces gens-là ont trois mandats, ils veulent encore les renouveler, ils veulent des postes, nous sommes avec la légitimité, Belkhadem est légitime, nous sommes avec lui», lance aux journalistes un militant de Médéa. «C'est une légitimité bâtie sur la chkara», lui rétorque un militant de Bab El-Oued. «Il doit prouver si les élections ont été honnêtes selon les statuts et le règlement du parti», ajoute un autre de Blida. En face, des jeunes s'agitent et crient à tue-tête «FLN djabhatouna (notre front), Belkhadem aminouna (notre secrétaire général).» Le coordonnateur de la contestation à Jijel rappelle que «Belkhadem a été exclu du congrès en 1997, il pleurait et c'est nous qui l'avons fait rentrer. Aujourd'hui, c'est lui qui fait dans l'exclusion». Un militant qui dit être ancien moudjahid déclare aux journalistes «je suis contre le SG, contre la chkara qu'il a encouragée tout autant que les traîtres et les harkis qu'il a mis sur les listes». Une militante de Annaba affiche sa colère contre le SG en affirmant qu' «on est contre lui depuis 2007, l'année depuis laquelle il ne veut pas nous renouveler nos cartes de militants. Je suis militante du FLN depuis 1986. On a eu 14 réunions avec lui, à chaque fois, il nous jure qu'il allait le faire, mais rien, il nous a menti, les vrais militants dérangent.» L'un de leaders de la contestation arrive vers 9h30 sous les acclamations des militants du même bord. Mais les pro-Belkhadem lui feront entendre quelques propos hostiles. «Irhal !» lui lancent-ils. C'est à ce moment aussi que Belkhadem arrive à l'hôtel Ryadh. C'est la débandade. Tout s'entremêle. «Irhal !» scandaient les contre avec force. Dès que sa voiture réussit à s'engouffrer à l'intérieur de l'hôtel, il est applaudi par plusieurs membres du CC. A 9h45 arrivent dans la même voiture Hadi Khaldi et M.Seghir Kara. Leurs noms sont scandés simultanément par les militants qui les soutiennent. Mais ils sont interdits d'entrer à l'hôtel parce qu'ils sont «exclus statutairement du CC», disent les pro-Belkhadem. Ils le sont tout autant que les 6 militants portés sur des listes d'autres partis. Les jeunes vigiles s'acharnent sur la voiture transportant les deux ministres, l'un d'eux brandit une bouteille en verre et casse avec le phare de la voiture. Fortement secoués à l'intérieur de la voiture, les deux ministres en descendent et parlent à la presse. «Ce sont des voyous, ils ont voulu nous frapper», se plaint Kara. Mais déclare tout de suite «on va passer à l'urne, s'il ne veut pas, les membres du CC l'obligeront à partir». «ILS ONT VOULU NOUS FRAPPER» «Ne faites rien, laissez vos frères travailler à l'intérieur, s'il lève la séance, nous allons installer une instance pour diriger la réunion et provoquer sa destitution, il doit respecter la volonté de ses camarades, de ses frères du CC, il doit partir !», dit à son tour Khaldi. Les pro et contre Belkhadem en arrivent aux mains. Le militant d'Alger qui brandissait la pancarte «FLN indivisible» se voit jeter par terre par un militant de Saïda. C'est l'anarchie. Un militant de Chlef s'est rendu compte après qu'il a perdu sa paire de lunettes qu'il dit avoir achetée à 25 000 DA. «C'est pour le parti, je donnerai encore plus pour que Belkhadem parte !», a-t-il dit. Il faisait chaud et lourd. Il fallait supporter la chaleur, la lourdeur de l'atmosphère, l'humidité très élevée, les cris des pour, les vociférations des contre, les regards des «flics» toutes catégories confondues. «Bien sûr, je veux son départ, la preuve formelle que le parti est divisé, c'est ce qui se passe aujourd'hui, et c'est à cause de lui ! Il doit donc partir !», nous dit la coordinatrice de la contestation des militants de Tizi Ouzou. Vers 10h, un des militants nous passe un portable pour entendre les cris et deviner la bousculade qui était dans la salle de réunion. Il faut admettre que nos sources au sein du FLN qui étaient à l'intérieur de la salle, ont accepté de nous parler au téléphone à chaque fois qu'on voulait savoir ce qui s'y passait. On avait à peine droit à rester devant les grilles de l'hôtel pour au moins voir qui en sort et qui y rentre. «Attention, il s'échappe ! Viens à Djelfa, tu va voit si tu reviendras indemne», crie un militant en regardant les escaliers de secours de la salle de conférences de l'hôtel. «Ils ont cassé la voiture, ce sont quand même des ministres de la République, ils ne devraient pas en arriver là», s'insurgent des travailleurs de l'hôtel à propos de Kara et Khaldi. «Pourquoi êtes-vous venus, la direction dit que vous avez été exclus», avions-nous demandé à Kara. «On ne sait pas si on est exclu, je les défie s'ils m'ont envoyé une convocation, c'est Belkhadem qui décide de tout, c'est une insulte au FLN !», nous répond-il. «J'ai mal de voir tout ça, le malheur c'est que c'est le représentant personnel du président de la République», ajoute-t-il en précisant «le président ne lui a jamais dit qu'il doit rester, d'ailleurs le président n'a pas le droit d'intervenir dans les affaires internes du parti». Il rappelle sans hésiter que «en 2003, j'étais dans le comité de soutien au président, c'est nous qui avons ramené Belkhadem pour remplacer Benflis avec lequel je n'ai pas de problème». Kara souligne que «toute notre vie, nous avons vécu avec la sueur de notre front, c'est Belkhadem qui a changé, il veut être président, il a le droit, la Constitution le lui permet mais pas sur le dos du FLN, nous allons faire élire par la majorité du CC une instance provisoire qui va le destituer». «BELKHADEM NOUS A INTERDIT D'ETRE VIOLENTS» Pendant que les pour et les contre Belkhadem s'affrontaient dehors, les membres du CC faisaient de même à l'intérieur de la salle de réunion. Belkhadem n'a même pas pu y accéder pour ouvrir la séance. Retranché dans le salon jouxtant la salle, le SG du FLN attendait que les esprits se calment. L'on a appris que 17 contestataires avaient pris d'assaut la tribune et y ont occupé les sièges après avoir tout saccagé. «Nous sommes allés voir Belkhadem, on était une soixantaine de militants et des députés, on lui a demandé s'il nous permettait de passer nous aussi à l'action, pour empêcher les contestataires d'occuper la salle, il nous a interdit d'être violents, de les frapper ou de les insulter», nous disait un député membre du CC au téléphone. «Ils ne sont pas nombreux, c'est parce qu'ils cassent et ils crient qu'ils font croire qu'ils le sont», nous explique-t-il. «Nous sommes plus nombreux qu'eux, mais nous avons été sommés de rester silencieux», a-t-il ajouté. Midi passé, Boudjemaâ Haïchour s'approche des grilles et déclare à la presse que «nous n'avons pas pu commencer la réunion, il y a clash. La salle s'est calmée, mais Belkhadem ne veut passer à l'urne». Le membre du Conseil de la Nation Abdelkader Bousnane l'a fait aussi pour raconter ce qui se passait à l'intérieur de la salle. «Belkhadem ne rentrera pas dans la salle sauf s'il accepte l'urne. Je suis contre lui depuis plusieurs années, on est contre la chkara. Dès qu'on a su qu'il était arrivé, on a pris d'assaut le bureau, on a cassé les micros et les chaises, il s'est caché dans l'arrière-boutique, il attend la clémence de Dieu. Nous exigeons que les exclus rentrent et que lui parte.» Bousnane portait une paire de lunettes à laquelle il manquait un verre. «Je ne me suis même rendu compte, j'ai dû le perdre dans la bousculade (el bounia), ça coûte 10 000 DA mais c'est ça le militantisme», a-t-il dit.