Le quartier Zabana à Blida a renoué ce mardi avec la présence de milliers de gardes communaux qui ont décidé d'un sit-in devant le siège de la délégation de la garde communale de Blida devenu le point de ralliement de gardes communaux qui ont afflué de toutes les wilayas du territoire national. Sur place, et malgré la chaleur accablante, le soleil brulant et la sueur qui collait les vêtements à la peau, des milliers d'entre ces algériens qui ont combattu le terrorisme depuis les premières heures attendaient la réponse du gouvernement qui leur sera transmise par leurs délégués au niveau du ministère de l'intérieur. L'atmosphère était pesante, on sentait que quelque chose de très important se passait là, mais c'était très imprécis. Les gardes communaux, la peau basanée par le soleil, les épaules basses et la démarche lourde, semblaient prêts à tout mais gardaient quand même l'espoir que leur attente allait être récompensée et leurs revendications « pourtant simples et légitimes » acceptées. Quand nous nous sommes rapprochés d'un groupe qui se tenait à l'ombre d'un arbre, juste en face de la délégation de wilaya, nous fûmes aussitôt entourés de près d'une dizaine d'entre eux, d'autres nous regardaient d'un air blasé alors que certains avaient l'air de nous jauger, comme si nous pouvions être des « provocateurs envoyés par les autorités ». En effet, dès les premières paroles, l'un d'entre eux qui s'était porté volontaire pour nous parler affirma que : « on a fait savoir aux habitants du quartier Zabana que nous (les gardes communaux) allions nous attaquer aux magasins pour les piller, juste pour les monter contre nous, même s'ils doivent envoyer quelqu'un de chez eux pour saccager les magasins et nous faire endosser leurs actes ». Il déclara que ce sont les habitants qui leur ont dit qu'ils avaient été avertis (on ne sait comment) que les gardes communaux allaient les attaquer, mais « nous les avons tranquillisés et assurés que nous n'avions rien contre eux » précisa notre interlocuteur. Invité à nous raconter les péripéties de la veille quand ils ont voulu regagner El Mouradia, le garde communal prit soudain un air triste, mi-résigné mi-décidé au pire et commença par : « nous avons acheté des roses avant de partir et nous les avons remises aux policiers qui se trouvaient à proximité de nous, nous leur avons dit que nous faisions partie de la même famille, que nous étions deux institutions de la république. Nous avons pris le départ vers 4 h du matin, nous avons occupé la bande d'arrêt d'urgence pour ne pas gêner la circulation, encadrés par des policiers. Nous avions aussi des roses et des branches d'oliviers pour dire que notre marche était pacifique, que nous voulions juste faire entendre nos voix aux plus hautes autorités du pays ». Toujours selon le narrateur, la procession, forte de plus de 40.000 gardes communaux a continué son chemin sans être empêchée jusqu'à Birkhadem mais : « une fois à Ain Kerma, et après avoir quitté l'autoroute Alger-Blida, nous avons remarqué que la route que nous avions empruntée était vide, elle était réservée juste pour nous. Nous avons aussitôt senti que quelque chose se préparait, surtout quand des citoyens nous ont prévenus qu'il valait mieux ne pas continuer. En outre, des jeunes de la localité ont voulu se joindre à nous, mais nous avons refusé pour éviter toute équivoque et toute provocation » a-t-il continué. Il a d'ailleurs fallu l'intervention de notables pour que les jeunes consentent à ne pas accompagner les gardes communaux dans leur marche. Après avoir parcouru quelques centaines de mètres, les gardes communaux ont été accueillis par un cordon de policiers anti-émeute qui utilisaient un canon à eau. « Ils (les policiers) nous barraient la route mais ils avaient préparé tout un chargement de pierres derrière eux, nous avons tenté de les repousser mais une pierre la première- est partie de chez les policiers » nous a affirmé notre interlocuteur. Ce fut ensuite l'empoignade, avec des mottes de terre au début puis « en leur rendant les pierres qu'ils nous lançaient » a-t-il précisé. Derrière ce premier cordon, il y avait des milliers d'agents anti-émeute qui attendaient de pied ferme les marcheurs, « avec des grenades lacrymogènes, des chiens et des bâtons » continua-t-il. Malgré leur nombre très important, les gardes communaux se rendirent très vite compte qu'ils ne pouvaient plus aller plus loin et ils décidèrent de rebrousser chemin. Arrivé à ce point de sa narration, le garde communal qui nous racontait ces péripéties changea de ton, l'amertume se lisait sur son visage et ses yeux s'embuèrent presque, les paroles devinrent saccadées, comme si ce qui s'est passé ensuite avait occasionné une cassure inattendue : « Nous avons alors décidé de revenir sur nos pas, nous leur avons tourné le dos pour repartir d'où nous venions, mais ils nous ont poursuivi avec le canon à eau, bien qu'ils se soient rendu compte que nous ne voulions plus avancer vers Alger. Nous n'avons jamais pensé qu'ils feraient cela » l'avons-nous entendu nous dire, les yeux dans les yeux. Tous ceux qui nous entouraient s'étaient tus, comme pour conjurer des moments difficiles qu'ils ne souhaitent plus se rappeler. TOUJOURS LES MEMES REVENDICATIONS : SALAIRE, RETRAITE, DIGNITE, CONSIDERATION ET PRISE EN CHARGE DES VEUVES ET DES ORPHELINS Les gardes communaux tiennent à rappeler que leurs revendications demeurent très réalistes, ils les ont transmises depuis plus d'une année, elles sont connues et elles sont sensées. « Nous voulons être indexés sur les autres salaires de la fonction publique car, actuellement, nous sommes au bas de l'échelle. Le meilleur d'entre nous ne dépasse pas les 27.000 DA et la prime de panier n'est que de 100 DA, même pas de quoi prendre un café. D'ailleurs nous sommes comme une épouse avec deux maris : nous travaillons avec l'armée, c'est-à-dire H24, et nous dépendons de l'intérieur soit un travail réglementé à 8 h par jour, nous ne savons même pas à quel secteur nous appartenons » ont-ils tenu à préciser. Ils réclament aussi une prise en charge pour les veuves et les orphelins de leurs collègues tombés sous les balles des terroristes et qui : « ne touchent qu'une rente de 18.000 DA, par trimestre ». Ils demandent en outre que des primes spécifiques à leur corps leur soient versées, comme tous les autres corps armés et de sécurité. «NOUS N'ARRETERONS NOTRE MOUVEMENT QUE LORSQUE TOUTES NOS REVENDICATIONS SERONT PRISES EN CHARGE» A quinze heures trente hier mardi, ils étaient toujours là, à attendre le résultat de la rencontre entre leurs représentants et ceux du ministère de l'intérieur pour décider de la marche à suivre dans le très proche avenir. Entretemps, des instructions strictes sont données à tous pour ne répondre à aucune provocation, de ne prendre aucune initiative personnelle tendant à les opposer aux forces de sécurité (très discrètes aujourd'hui) ou à la population. La chaleur continue d'accabler tout le monde et l'attente ne semble que plus longue. Pourtant malgré tous ces aléas, il apparait clairement que les protestataires sont décidés de ne point baisser les bras et de continuer leur mouvement jusqu'à satisfaction de toutes leurs doléances. Finalement et aux environs de 16 h 30, les délégués des gardes communaux sont sortis du ministère de l'intérieur où ils ont été reçus par, M. Daho Ould Kablia, qui a été rappelé d'urgence de son congé sur ordre du président de la république, selon certaines sources. MM. Aliouat Lahlou, délégué national et ses camarades Hakim Chaib, Ali Sekouri et Hasnaoui Zidane ont affirmé que, quoiqu'il en soit ils ne rentreront chez eux que lorsqu'ils auront du concret, même si, au cours des discussions qu'ils viennent d'avoir avec le ministre, ce dernier a montré sa disposition à prendre en charge la plateforme établie par les gardes communaux et contenant tous les points objets de contestation. Les discussions ont donc porté sur deux points essentiels. Le premier concerne le règlement de tous les problèmes socioprofessionnels des gardes communaux travaillant directement avec le ministère de l'intérieur. Quant au deuxième point objet de discussion, il s'agira de donner le choix aux gardes communaux d'intégrer le corps de l'ANP, alors que ceux qui optent pour travailler dans les entreprises publiques, il est garanti le statut et le salaire, ainsi qu'une prime représentant les 17 années passées dans la garde communale. Mais pour ce deuxième point, le ministre aurait demandé aux délégués des gardes communaux de présenter une requête qu'il se chargera de transmettre au président, ce volet ne relevant pas des ses prérogatives. Afin de mettre en œuvre les décisions prises lors de cette rencontre, une commission composée des quatre délégués des gardes communaux et de représentants du ministère de l'intérieur a été mise sur pied. Pour le délégué national Aliouat Lahlou, il n'est toujours pas question de baisser les bras avant la satisfaction entière de toutes les revendications présentées dans la plate-forme. Il affirme qu'ils siègeront à Blida jusqu'à ce que toutes les décisions prises lors de cette rencontre avec le ministre soient concrétisées. Selon des gardes communaux, lors de la marche d'avant-hier, plus de 60 d'entre eux ont été blessés, certains gravement. D'autres gardes communaux sont toujours gardés en détention par les services de sécurité, est-il encore soutenu.