Ceux qui exhibent des signes extérieurs de richesse ne sont pas les meilleurs contribuables. En Algérie, où l'arme du 87 bis contre les bas salaires n'est toujours pas retirée, ce sont les revenus «visibles» des salariés qui rapportent le plus au fisc. La fiscalité a été, ces dernières semaines, au centre des activités des membres du Parlement à l'occasion du débat sur la loi de finances 2013 et de la présentation du rapport de la Banque d'Algérie sur la situation monétaire et financière 2011 du pays. Les rapports de presse sur le sujet ont édifié une population, un peu choquée sur la difficulté à taxer les plus riches dont la fortune s'étale parfois avec ostentation. Créer un Impôt sur la fortune parait aux yeux du gouvernement et d'un parlement où les partis d'opposition sont peu représentés, une mission impossible. La question a été de ce fait carrément éludée lors de l'examen du projet de loi de finances 2013 par la Commission des finances de l'Assemblée populaire nationale (APN). A l'opposé, la mise «à contribution» des salariés parait aisée Tellement aisée qu'un amendement destiné à abroger l'article 87 bis du code du travail, introduit et défendu par le député du PT (parti des Travailleurs), Smain Kouadria est passé à la trappe sous l'argument que ses «effets vont augmenter le budget de l'année 2013». L'Art 87 bis limite en fait l'effet des augmentations du Salaire national minimum garanti (SNMG) en y incluant le salaire de base, les indemnités et primes de toute nature sauf les indemnités versées au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur. La question revient, pour la forme à chaque «tripartite» depuis 2005, période où le gouvernement estimait l'impact financier d'une éventuelle suppression de l'article litigieux à 500 milliards de dinars pour l'Etat et 40 milliards pour les entreprises. En 2011, une vague commission d'experts a été mise en place par le gouvernement pour évaluer l'impact financier de son éventuelle suppression Sans suite. L'article 87 bis continue à limite en définitive les effets d'une augmentation du SNMG minimum pour les bas salaires, ceux dont la pauvreté est en générale réelle sans être ostentatoire. UN IMPOT «INSIGNIFIANT» SUR LE PATRIMOINE Il y a bien un impôt sur patrimoine en Algérie mais il représente une part «insignifiante» dans les recettes fiscales, de l'avis même du Ministre des Finances, Karim Djoudi. En l'absence d'une base de calcul bien définie, le gros des fortunes en Algérie échappe au contrôle fiscal, avait-il reconnu en marge de l'adoption de la loi de finances 2013 par les députés de l'APN. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes constate que l'impôt sur la fortune représente à peine 0,02% de la masse des contributions fiscales directes. L'impôt sur le patrimoine, demeure infime en «dépit de l'importante évolution de la propriété privée», en Algérie a-t-elle estimé. Les députés ont tout juste relevé les seuils des valeurs nettes des biens mobiliers et immobiliers soumis à l'impôt sur le patrimoine qui passe 30 millions de DA actuellement à 50 millions de DA. Cela représente moins de 1% du total des impôts recouvrés. Le ministre des Finances a annoncé pour le début de l'année 2013 un service d'investigation fiscale indépendant de la Direction générale des impôts (DGI), pour contrôler les fortunes en Algérie. Ce nouveau système va permettre «d'agir plus fortement sur les signes extérieurs de richesse» en Algérie et d'avoir « une base de calcul de la fortune qui correspond avec la réalité et qui aide à avoir le juste taux d'imposition». LE SALARIE PAYE LE LOURD TRIBUT En attendant la mise en place cet organisme qui suscite un fort scepticisme des experts, les salariés aux revenus «visibles» sont ceux qui contribuent le plus. Selon un bilan du Ministère des Finances, l'Impôt sur le revenu global (IRG) sur salaire, prélevé à la source, a rapporté durant les neuf premiers mois de l'année 2012, pas moins de 422.6 milliards de dinars (environ 5,5 milliards de dollars) au Trésor public, contre 380.3 milliards de dinars en 2011 et 239.3 milliards en 2010. Cette hausse de la contribution des salariés est due, selon le Ministère des Fiances, aux augmentations salariales appliquées en 2012. A l'opposé, l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) recouvré durant la même période n'a été que 190 milliards de dinars. L'expert comptable et économiste Djamel Djerrad, contacté par Maghreb Emergent, explique ce résultat par l'importante masse salariale, prélevée à la source, comparativement au nombre d'entreprises, qui, elles sont soumises au régime déclaratif s'agissant du recouvrement de l'IBS. Le prélèvement à la source, souligne-t-il, ne donne pas de possibilités d'échapper à l'impôt, contrairement au régime déclaratif dans le cas de l'IBS. L'administration fiscale, explique-t-il, a adopté le système des acomptes prévisionnels, en se basant sur les résultats de l'exercice précédent. «Les sociétés payent ainsi trois acomptes prévisionnels (mars, juin et octobre). Les services des impôts réajustent ensuite les résultats». Ce régime déclaratif crée une forte tentation - et tendance - à la fraude et l'évasion fiscale. La pression fiscale accrue dans la région du Maghreb y incite également. Le taux d'imposition des PME en Algérie est de 72% en Algérie alors qu'il est à 49,6% au Maroc et à 62,9% en Tunisie, souligne une étude du cabinet d'audit international PricewaterhouseCooper (PwC), menée conjointement avec la Banque mondiale.