Des partenaires étrangers se sont résignés à désigner un « Monsieur Algérie », chargé de gérer les relations économiques bilatérales. Une formule qui permet de centraliser les négociations, et, éventuellement, des mesures d'accompagnement peu avouables. C'est l'histoire d'un Lord à Alger. Dans une Algérie de culture très égalitaire, hostile à ce tout qui relève de la royauté et de l'aristocratie, Lord Richard Risby est en train de se faire une place. Il n'en est qu'à sa seconde visite à Alger, mais il est d'ores et déjà devenu l'interlocuteur britannique privilégié des dirigeants algériens. Ce parlementaire britannique a effectué une première visite en Algérie au printemps. Coup de foudre ou simple intérêt professionnel, on ne le sait. Mais toujours est-il qu'en novembre, il était nommé représentant du premier ministre britannique David Cameron, chargé de la promotion du partenariat économique avec l'Algérie. Malgré les dénégations du très médiatique ambassadeur Mr Martyn Roper, Lord Risby devient le « Monsieur Algérie » de Grande Bretagne. A ce titre, il a la haute main sur les relations bilatérales, en devenant une sorte d'ambassadeur personnel du Premier ministre britannique. Il est habilité à tout négocier, sans être soumis aux contraintes traditionnelles auxquelles doit se plier un ambassadeur. Il a la confiance de celui qui le nomme, et il bénéficie de la bienveillance de ses interlocuteurs algériens. Il est habilité à tordre le coup aux usages si nécessaire, à tutoyer ses interlocuteurs, et à les inviter de manière moins protocolaire que ce qu'exige la position d'un diplomate officiel. Lord Risby a rapidement appris les usages. Il sait flatter les Algériens, leur tenant systématiquement le discours qu'ils aiment entendre. A chaque discours, il rend hommage à leur savoir-faire et leur expérience en matière de lutte contre le terrorisme, et les félicite pour « la stabilité politique », avant de saluer « les multiples réformes» engagées. Il prend soin de toujours rappeler qu'il travaille « en étroite collaboration avec le gouvernement algérien » pour un « partenariat gagnant-gagnant », et que les deux pays ont « beaucoup de choses à apprendre l'un de l'autre ». LE «MODELE» RAFFARIN Mais en réalité, les britanniques sont les derniers arrivés à utiliser cette formule de désignation d'un « Monsieur Algérie », qui a beaucoup de succès. Avec un petit retard, les britanniques ont fini par l'adopter, rejoignant en cela la France, qui y a recours depuis longtemps. L'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin est ainsi devenu un « Monsieur Algérie » avec un véritable poids dans les relations algéro-françaises, indépendamment de la couleur du gouvernement en place. Il a officié sous Nicolas Sarkozy, et il continue à jouer le même rôle sous François Hollande, grâce à sa proximité avec l'appareil d'Etat, les entreprises et les milieux d'affaires et de la finance. A ce titre, il mène une véritable diplomatie parallèle. Pour l'Algérie, la formule est très adaptée, car elle permet de contourner l'indigence institutionnelle du pays, et de faire oublier de graves défaillances à différents niveaux. Elle permet également aux dirigeants algériens de se voiler les yeux face à une autre réalité : l'Algérie ne s'est pas adaptée, conservant des structures politiques et économiques des années 1970, ce qui surprend d'ailleurs nombre d'interlocuteurs étrangers, interloqués de voir un système de décision aussi peu à jour. Pour les dirigeants algériens, la formule permet de réinstaurer les bonnes vieilles commissions mixtes, qui se réunissent de manière très solennelle, sous la présidence de responsables politiques, pour examiner la coopération domaine par domaine, en énumérant les doléances des uns et des autres, avant de se terminer par un communiqué commun énumérant les accords conclus. Mais sur le strict plan économique, ces accords signifient peu de choses, et ne sont guère suivis d'effets, car ils énumèrent les vœux des dirigeants plutôt que de recenser les possibilités réelles de coopération. PASSER OUTRE LES CIRCUITS INSTITUTIONNELS Dans ce système, c'est aussi le ministre ou le bureaucrate qui garde la main, et prend les décisions, au détriment des entreprises, toujours soumises au contrôle et au bon vouloir du ministre de tutelle. L'entreprise algérienne reçoit des injonctions pour investir, passer des accords, dépenser ou passer des commandes. On l'a bien vu dans l'affaire Renault : c'est l'ancien ministre de l'industrie Mohamed Benmeradi, et aujourd'hui son successeur Cherif Rahmani, qui décident, le patron de la SNVI se contentant d'un strict rôle d'exécutant des décisions venant d'en haut. Résultat : côté algérien, le chef devient un véritable handicap. Il gère son ministère, ou sa carrière, mais les entreprises ne trouvent pas leur compte. Un patron d'entreprise a avoué, sous le sceau de l'anonymat, qu'il lui a fallu « dribbler » son ministre pour parvenir à des accords avec des partenaires étrangers. A l'inverse, le « Monsieur Algérie » qui est en face représente un plus pour le partenaire étranger. Il joue pleinement le rôle de facilitateur au profit des entreprises de son pays, celui qui ouvre les portes, donne le coup de pouce nécessaire, sans pour autant être trainé comme un boulet par les entreprises. Mais dans le même temps, il garde une vue d'ensemble sur les négociations, ce qui permet aux entreprises de son pays d'éviter de s'enfermer dans des négociations trop techniques au risque d'aller à l'impasse. Un ancien ministre se montre très dur envers la formule. « Non seulement elle marginalise les entreprises, mais elle permet aussi de passer outre les circuits institutionnels», dit-il. « C'est une manière de reconduire le recours à un système occulte, avec les réseaux fonctionnant parallèlement aux institutions ». Pour lui, la chose est entendue : cette méthode « consacre l'informel », avec pour « objectif ultime de canaliser les commissions éventuelles, tout en préservant les institutions des pays européens».