LES VOLEURS DE LIBERTE Roman de Abdelkader Hammouche. Editions Barkat. Alger 2013, 133 pages, 500 dinars Abdelkader Hammouche été un des plus brillants journalistes des années 80 et du début des années 90. Journaliste à Algérie Actualité puis à l'Hebdo Libéré, il animait la rubrique économique avec une spécialité assez recherchée à l'époque : les questions énergétiques. Malheureusement pour la profession, il est devenu, par la suite, avocat et, aussi, écrivain. Son second roman, celui-ci, narre , en fait, une mésaventure bel et bien «vécue» ( il ne le dit pas, mais , nous, nous le savons bien) alors qu'il était journaliste... Ayant traité (enquête en Espagne même avec des frais de missions minables ) du problème des relations gazières algéro-espagnoles sur la base d'éléments d'informations fournies par les uns et les autres, dont son Excellence Monsieur l'Ambassadeur d'Algérie à Madrid. Il se retrouve, le «papier» pourtant publié avec l'aval de ses «chefs», subitement embarqué par les «services» qui l'accusèrent, ni plus ni moins, de trahison, d'être au service des intérêts espagnols, etc. Une «toile d'araignée savamment tissée par des mains expertes» à l'heure des grandes manœuvres ? Le grand délire ! Gagoulé, il est emprisonné «quelque part» laissant ses amis et sa petite famille dans l'angoisse la plus totale. En face, l'évitement, le mur, les menaces, le cachot et la bouffe pourris... Puis, relâché... mais «mis au placard». Une histoire dingue comme on en a vu des dizaines d'autres certainement, peut-être plus graves encore, allant au-delà de la torture morale, et qui commencent à sortir Grâce à octobre 88. «Quand un grondement de tonnerre secoua le pays» Avis : Comme si vous y étiez ! Mais, mieux vaut ne pas y être. Extrait(s) : - «J'étais au comble de l'étonnement : comment pouvaient-ils autoriser la prière d'un côté et supplicier imperturbablement de l'autre ? Avoir du respect pour la religion, et s'employer, en même temps, à détruire ce qu'il y a d'humain chez ceux qu'ils embastillent ?» (p 79), «(un geôlier à propos de journalisme) «Vous vous prenez pour des intellectuels, ricana-t-il, mais vous n'êtes que des cons !» (p 98) LA CEINTURE DE L'OGRESSE. Nouvelles de Rachid Mimouni. Chihab Editions, Alger 2012 (Editions Stock, Paris, 1999). 189 pages, 500 dinars) En lisant ses sept nouvelles, on comprend mieux le pourquoi du décès précoce de Rachid Mimouni. A peine 50 ans de vie ! Né en 45, décédé en 95 en exil, lui qui avait son pays et sa ville natale «dans la peau». La déprime. Une grande et immense déprime. Douloureuse. Qui ronge les entrailles et le moral. Malade à en mourir de voir son pays régresser, s'enfoncer, pris en étau entre la dictature du «pouvoir» (pas nécessairement l'Etat, mais surtout un état d'esprit) de la bureaucratie absurde et les obscurantismes qui remontaient, dont le cultuel n'était pas le moindre et le moins dangereux avec ses dérives violentes. «Le Manifestant» : Un idéaliste, naïf de surcroît, broyé par la machine policière et judiciaire qui n'accepte pas qu'un individu puisse «exister» politiquement «Histoire de temps (une histoire de train peut en cacher un autre)» : La décision bureaucratique qui écrase tout sur son passage ou vous condamne à l'oubli. Elle vous efface «à en mourir». «Le gardien» : Ou comment ne pas réussir à garder un jardin public verdoyant. «Les vers à soie» : Comment une technique pourtant apportée de Chine par nos ancêtres les Arabes n a pas réussi à se réadapter en Algérie... malgré les investissements assez lourds. Qui se souvient de Soitex ? «Le Poilu» : Lorsque le manque d'amour (des gens, de la nature, du travail bien fait ) tue à petits feux. «Les ordinateurs et moi» : Ah ! Les Ntic. Une belle arme à double tranchant. «L'évadé» : Difficile de survivre en Dictature. La foule est prête à vous suivre, mais personne ne bouge quand on vous assassine. Avis : A lire avec tous les risques de dépression. Ce qui est certain c'est que vous allez (re-) découvrir l' é.c.r.i.v.a.i.n francophone , incontestable et incontesté, de la décennie 90. Pour mieux saisir l'esprit, lire d'un trait. De toute façon, lorsqu'on y entre, il est bien difficile d'en sortir. Extrait(s) : - «J'avoue que je n'ai pas de sympathie pour les représentants de l'autorité. Ils se ressemblent tous. Ils ne cherchent que les honneurs et le prestige et méprisent les obscures et patientes activités sur lesquelles doit se fonder une réussite. Ils ont le comportement arrogant des parvenus et leur progéniture se croit en pays néo-colonisé» (P. 147), «Je suis partisan d'inscrire le droit au rêve dans notre Constitution. Un gouvernement avisé devrait s'en préoccuper. Ce serait une bonne affaire, car en cas de crise économique et d'inflation, seul le rêve reste bon marché. S'il y a tant de morosité dans notre pays, c'est parce qu'il n'est pas permis aux citoyens de rêver tout leur saoul» (P. 163) JUSTE ALGERIENNE. COMME UNE TISSURE Ouvrage mémoriel de Eveline Safir Lavalette (préface de Ghania Mouffok). Editions Barzakh. Alger, 2013, 205 pages. De la prose. De la poésie. De la vérité. De la sincérité. De l'engagement. De l'amour. De la tendresse. De la fraternité. Du Lavalette 100%. De l'Algérienne comme on n'en fait peu. Issue d'une famille vivant en Algérie depuis trois générations, née en 1927, elle a côtoyé les plus grands de la Révolution (Ben Khedda, Abane, Krim Belkacem, Ben M'hindi ), car engagée dès 1955 pour l'Indépendance du pays. Déjà toute gamine, au début des années 30, elle avait, assez tôt, compris la situation coloniale. A l'école, avec ses camarades, elle devait présenter une rédaction sur un «commerce du village». Pour sa part, elle avait décrit un «café maure», le seul commerce arabe du village, devant lequel elle passait tous les jours. Elle obtint un zéro. Pourquoi ? Réponse de l'institutrice «Tu es hors sujet». «Je protestais, c'était un commerce». «Il me fut répondu, mais ce sont des Arabes, c'est un commerce arabe, ils ne parlent pas le français» «Je ne comprenais pas. L'épicière parlait espagnol avec la plupart de ses clients. Le boucher alsacien parlait son dialecte avec sa femme qui était à la caisse et la mercière faisait de même, en italien». «En fait, on m'enseignait l'indifférence» Elle a tout subi. L'arrestation (en novembre 56), la torture, l'emprisonnement, l'humiliation. On alla même jusqu'à l'interner dans un service psychiatrique pour «folie», l'exil, traquée par la sinistre «Main rouge», le départ en Tunisie L'Indépendance venue, elle est députée à l'Assemblée nationale constituante... puis, après 65, des responsabilités administratives dans le monde du Travail et des Affaires sociales jusqu'à sa retraite à Benchicao, en compagnie de son époux, Abdelkader Safir, un de nos immenses journalistes (aujourd'hui décédé). Benchicao, une «maison ouverte», lieu paisible et apaisant de rencontres de tous les amis cherchant à se ressourcer. Les années 90, encore une déchirure, puis l'exil en 94 jusqu'à 97. Tissure et retissure d'une vie pleine. Eveline Safir Lavalette, une «fourmi exceptionnelle». De l'Algérienne comme on n'en fait rarement. Avis : «Entre l'oubli et la mémoire, entre le silence et l'écriture, Eveline Safir Lavalette, croyant écrire pour elle, écrivait en vérité pour nous. Le temps est venu de la lire» (Ghania Mouffok). De plus, la forme est assez originale, novatrice même. La lire, c'est sortir du train-train habituel. Je dirai même plus : c'est plus beau qu'un roman. Et, un réalisateur de cinéma n'a pas besoin de faire tout un scénario. Extrait : «Avant 1962, j'avais dit «Elle», parce que ce «Elle» était un sujet commun au sens grammatical du terme ( ) .Unité vécue où tous, compagnes et compagnons, étaient au Fln. En 1962, «Elle» redevient «Je». Les routes professionnelles se diversifient. Chacun doit construire et encore reconstruire l'Algérie rêvée, celle qui sera réelle. Chacun était souvent porteur, intérieurement, de cette unité qui a permis la victoire même si, extérieurement, le «Nous» est laminé et apparaît le «Je» (p 139)