Les déclarations compatissantes au lendemain de la tragédie d'avant-hier sur l'île de Lampedusa ne suffisent pas à faire oublier le discours discriminatoire et violent dominant en Europe sur la question migratoire. Plus de 130 morts et plus de 200 disparus (morts) à l'approche de l'île italienne de Lampedusa. Fuyant la guerre et la misère en Somalie et en Erythrée, ils ont embarqué au port de Misrata en Libye dans l'espoir d'un peu de vie, de paix. Cette énième tragédie est accueillie en Europe comme une fatalité. C'était attendu et ce ne sera pas le dernier drame. Il y en aura d'autres. «C'est un jour de pleurs», a dit le pape François. Une marque de commisération et de partage du deuil, mais un aveu d'impuissance aussi. D'impuissance politique en réalité, parce que l'Europe entière accueille moins d'immigrés légaux et «clandestins» que le seul Canada ou les USA. Parce que le discours sur l'immigration en Europe est si instrumentalisé pour des raisons électoralistes par les partis politiques, notamment ceux de l'extrême droite qu'il a fini par être imposé comme l'une des préoccupations des peuples européens. Une étude de la Commission européenne publiée en 2011 annonçait le chiffre de 5.000 réfugiés accueillis pour les 27 Etats de l'UE, alors que les USA en accueillaient dans le même temps 75.000 réfugiés. Actuellement, la population immigrée vivant dans les 28 pays de l'UE (y compris ceux des pays de l'Est non membres de l'UE) ne dépasse pas les 9 % de la population globale qui atteint les 550 millions d'habitants. Pourtant, le discours politique laisse entendre un «envahissement» de l'Europe par les étrangers. L'incapacité de l'Europe à gérer convenablement les flux migratoires se traduit par la multiplication de lois, conventions, accords, traités etc. sur le sujet sans pour autant déboucher sur une politique commune de l'immigration. Rappelons les initiatives de ces dernières années : accords bilatéraux de réadmission ; création de l'Agence «Frontex» (sous l'impulsion de la France), une armée de surveillance en mer et sur terre activant dans le sud-est européen (Sénégal, Maroc) ; le financement de centres de rétention au Maroc et en Libye etc. sans que cela ne change la donne de la question migratoire d'une manière générale. Et lorsque l'Europe veut faire dans la solidarité avec les pays du Sud, elle abonde dans le cynique et invente le concept «d'immigration choisie». C'est à dire faire le tri de ceux et celles qu'elle souhaite accueillir : les jeunes bras qualifiés, les universitaires rares ; les génies et autres matières grises. Non contente de dépouiller les pays du Sud de leurs richesses naturelles, l'Europe leur soustrait le peu de richesses humaines dont ils disposent. Après cela, voilà l'Europe clamant des politiques de coopération partagée, équitable, solidaire, multipliant les initiatives genre «Politique de voisinage» ; «Accords de partenariat économiques (APE) avec l'Afrique ; Accords d'associations etc. Mieux, l'Europe ne retient de l'inexorabilité de la «Mondialisation» que son aspect économique, celui du marché et de la finance à son seul avantage. Exit les questions humaines et environnementales. «C'est un jour de pleurs», a dit le pape François. Cela fait longtemps que les larmes des populations du Sud ont séché. Les violences et les guerres impliquant les Européens (Libye, Mali, Syrie) et les violences nées de la misère et de l'absence de démocratie constituent l'histoire contemporaine des peuples du Sud (Afrique et Monde arabe). Comment croire au discours européen de solidarité quand elle rejette des enfants et des femmes venues de Syrie ou accueille quelques milliers (centaines pour certains pays) alors que des pays comme la Turquie, la Jordanie ou le Liban en accueillent des centaines de milliers sans faire dans la surenchère raciste et sans crier à l'envahissement ? C'est vrai, au lendemain du drame de Lampedusa, le préfet de Lille (France) invite les quelques dizaine de Syriens bloqués sur les côtes de la Manche à se rapprocher de son administration pour être régularisés : ils vivent depuis des mois en SDF, fuyant les contrôles policiers. L'Europe ne peut se dédouaner par de simples condoléances, jour de deuil ou de larmes. Par ses politiques de «coopération» inégale, elle participe à l'appauvrissement des pays du Sud, appauvrissement générateur de guerres civiles et de légitime tentative de fuite vers d'autres lieux cléments pour les autres. La tragédie d'avant-hier sur l'île de Lampedusa devrait rappeler à l'Europe toute l'absurdité de sa politique migratoire et surtout son discours immoral sur l'immigration.