Une manifestation contre la présence des milices à Tripoli a tourné au carnage et les affrontements, entamés vendredi, se poursuivaient encore samedi soir. La milice, très armée et très envahissante, de Misrata n'a pas apprécié que l'on manifeste devant son QG, elle a tiré dans le tas. Ceux qui manifestaient contre les centaines de milices qui font le désordre à Tripoli ont choisi, à leur tour, de prendre des armes et à demander l'aide d'autres milices. De quoi illustrer l'absurdité de la situation libyenne où il est difficile de parler d'Etat. Il n'existe plus. Il n'y a que des milices qui font la loi et qui sont présentes au Parlement. Certaines sont alliées au gouvernement, d'autres lui sont hostiles. D'autres, comme à l'Est, préparent résolument l'autonomie voire la partition du pays en se dotant d'une compagnie pétrolière, d'une banque et organisant un «découpage administratif». Ces « fédéralistes» ne sont pas présents cependant dans la grande ville de Benghazi qui est, elle, aux mains de milices qui leur sont hostiles. Les Libyens sont dans la situation terrible où pour pouvoir s'opposer aux milices, il faut s'armer et créer sa propre milice. Un cercle milicien vicieux qui s'étend désormais à tous les domaines y compris au secteur névralgique des hydrocarbures où la production a chuté de manière vertigineuse. La Libye de Kadhafi était une dictature familiale avec un semblant d'Etat, la Libye post-Kadhafi est une «république des milices». Le chef de la milice de Misrata ne se pose pas de questions sur le comportement de bandits de ses hommes, il tance «l'ingratitude» des gens de Tripoli qu'il a «libérée» et qui aujourd'hui veulent le renvoyer de la ville. Et qu'il n'est pas prêt à quitter, a-t-il déclaré très menaçant. Il y a plus de trois cents milices dans la ville de Tripoli qui se surveillent, se concurrencent et se font de temps à autre la guerre en tuant des Libyens. En tuant la Libye ! «L'ingratitude» des gens de Tripoli à l'égard de ces «thowars» d'un nouveau genre est très largement justifiée. Les Libyens ne sont pas plus libres que sous Kadhafi mais ils vivent dans une insécurité infiniment plus grande. Le vrai problème est que le rejet populaire des milices n'est pas traductible politiquement. Car, une fois de plus, le cercle vicieux créé par la «révolution otaniste» en Libye est que les idées sans armes sont inopérantes et sans effet. Défendre le rétablissement de l'Etat et le monopole de ce dernier sur les armes relève du vœu pieux. Le gouvernement, lui-même, ne donne pas l'exemple. Il s'appuie sur des milices moyennant une vague reconnaissance de son autorité. Dans les faits, ces milices obéissent à leurs chefs et non au gouvernement. Quant au Parlement (Congrès général), il est très largement sous orbite des milices et on ne peut s'attendre de lui une action énergique. L'avenir libyen est sombre. Il se dessine sous forme de guerre généralisée des milices et de possibilité de démembrement. Dans les faits, chaque milice a sa ville, ses puits pétroliers et une «présence» à Tripoli. Et ces milices qui vendent parfois directement le pétrole censé être celui de tous les Libyens sont en liaison avec des services étrangers très actifs. Le désordre libyen crée une sorte de topographie idéale pour une seconde étape de l'intervention étrangère : le contrôle direct. Qui n'exclut pas, loin de là, le démembrement.