Après avoir enterré leurs morts samedi, les habitants de la capitale libyenne ont été appelés par les responsables locaux à une grève générale de trois jours. Mais la paix civile reste obstruée en Libye par des milices qui refusent de quitter la capitale et encore moins de désarmer. Le bilan des violences enclenchées vendredi après une manifestation devant le QG de la milice de Misrata, basée dans le quartier de Gharghour, sud de Tripoli est d'au moins 43 morts et des centaines de blessés. La capitale était, samedi soir, dans l'appréhension d'une extension des violences avec l'arrivée de nouveaux renforts de miliciens de Misrata (environ 200 km à l'est de Tripoli), cherchant à pénétrer dans la capitale. Cette avancée a été bloquée à Tajoura, dans la banlieue est de la capitale par d'autres miliciens. Les miliciens de Misrata ont effectué un repli de quelques kilomètres. Ils avaient cependant repris, dans la nuit du vendredi à samedi, leur QG dans le quartier de Ghargour (sud) dont ils avaient été délogés et qui a été partiellement incendié. Ce sont des tirs contre des manifestants en provenance de ce QG de la milice de Misrata qui a mis le feu aux poudres vendredi et qui a fait basculer la Libye dans une situation de guerre civile. Des centaines de personnes se sont rassemblées samedi sur la Place des Martyrs, au cœur de Tripoli, pour les funérailles des victimes de la veille. Une prière a été dite, avant que des dizaines de jeunes ne scandent des slogans contre les milices et appellent à la reconstruction d'une armée. L'appel au départ des milices qui pullulent dans la capitale il y en aurait au moins 300, la plupart venues d'autres villes du pays est devenu une exigence des habitants de la capitale. Mais elle se heurte aux chefs des milices. A l'image des chefs de la puissante milice de Misrata, directement impliqués dans les nouvelles violences, qui ont défendu la présence de leurs éléments dans la capitale. LES MILICES RECRUTENT ! Ces chefs miliciens, souvent en rivalité, créent une situation d'insécurité dans la capitale mais c'est au nom du devoir de « sécurisation » de cette même capitale qu'ils justifient leur présence. Leur principal argument est que le gouvernement n'a pas mis en œuvre une alternative viable aux milices. Le maire de Misrata, Smail Chekalaoune, a été catégorique, les miliciens de Misrata resteront dans la capitale jusqu'à ce que le gouvernement «applique sérieusement la décision du Congrès national général (parlement) sur le départ des milices de la capitale ». Une illustration parfaite de la quadrature du cercle en Libye. Les milices œuvrent à affaiblir le gouvernement et font ensuite de sa faiblesse un argument pour ne pas désarmer. « On ne peut quitter Tripoli alors qu'il n'y a pas d'armée et de police », disent-ils. En réalité, les autorités de transition mises en place après la chute de Kadhafi se sont appuyées sur les milices au lieu d'œuvrer rapidement à la reconstitution de l'armée. Conséquence, chaque milice œuvre à se renforcer et à se doter des moyens pour peser. On estime à près de 20.000 les membres des milices qui ont pris les armes contre Kadhafi. Les effectifs ont gonflé pour atteindre aujourd'hui 200.000 éléments en armes. Des milices qui agissent pour leurs propres intérêts même quand elles se mettent formellement sous l'égide des ministères de la Défense et de l'Intérieur. Ces milices qui représentent des villes et des tribus sont « représentées » dans la capitale au nom de sa « sécurisation », mais en réalité pour exercer des pressions physiques sur les centres de décisions politiques. Les évènements violents de ces derniers jours montrent que le basculement dans une guerre généralisée entre milices rivales n'est plus une simple hypothèse. DES JOURS «DECISIFS» A Tripoli, la situation s'exacerbe par le fait que les habitants subissent des miliciens venus d'autres régions et d'autres villes. Le gouvernement libyen impuissant en est à rappeler que la Libye est toujours sous l'empire d'une résolution sous le chapitre VII de l'Onu et qu'il n'exclut pas une intervention de forces extérieures pour rétablir l'ordre. Le Premier ministre, Ali Zeidan, en est réduit à lancer des appels pathétiques à l'arrêt des combats. Le Conseil local de Trip oli a décrété une grève générale de trois jours dans tous les secteurs à partir de dimanche en signe de deuil et de solidarité avec les victimes. Certains habitants de la capitale regrettent même la période de Kadhafi en relevant que ses brigades ne faisaient pas preuve d'autant de sauvagerie. Mais les enjeux politiques et économiques sont tels que les milices organisées sur des bases régionales, tribales et parfois politiques, bloquent toute reconstitution de l'Etat et de son autorité. Le Premier ministre, Ali Zeidan, a déclaré que les prochains jours allaient être «décisifs pour l'histoire de la Libye et la réussite de sa révolution». Pour le pire aussi Surtout pour le pire, dans un pays où il faut s'armer pour exister.