Finalement, ils sont deux Bouteflika. Pas lui et son frère, mais lui et lui-même. Le premier on le connaît. C'est le bonhomme de l'ENTV de Khelladi : il est vif, a cent ans et vingt ans à la fois, il marche, vole, fait des bras de fer, sourit, reçoit et parle et a traversé le désert, la mer puis la maladie, la mort et les crises et trois mandats. Il n'a plus de séquelles de son accident, est guéri, gère et gouverne, licencie et recrute. Aucune trace de la trace de l'AVC sauf dans les journaux. Selon l'ENTV et selon les siens, ce Bouteflika parle à haute voix, dit ce qu'il pense et peut tenir une conversation de cinquante ans. Le second ? C'est celui de la rumeur, du constat, du dossier médical et des images de Canal Plus lors de sa rencontre avec le Premier ministre français. La chaîne TV française que le FIS n'aimait pas tellement, a montré un autre Bouteflika : hésitant, tremblant, murmurant, finissant, partant. En face, le ministre français avait l'air gêné, compatissant, poli, yeux baissés et propos mesurés. A la fin, le français a préféré ne pas mentir mais ne pas dire la vérité : il a salué la lutte du président algérien contre la maladie. Le clip fait le buzz sur le net en Algérie. La chaîne TV française y montre (ou démontre) comment on fait pour rajeunir Bouteflika : il a bougé la main trois fois et l'ENTV, par caméras multiples, montre un autre Bouteflika qui bouge sa main tout le temps, sous d'autres angles avec les mêmes images en boucle. De l'arnaque qui a fonctionné chez nous mais qui vient d'être mise à nu. L'un des Bouteflika veut se faire passer pour l'autre et on veut nous faire croire que le bonhomme est capable de marcher et de gouverner donc de se représenter. Et c'est cela le plus fascinant dans cette arnaque : pourquoi pousse-t-on cet homme jusqu'au tragique de la manipulation ? Pourquoi manque-t-on tellement de décence et de respect pour ce troisième âge au point de recourir au maquillage le plus honteux ? N'y a-t-il aucun sens du respect pour cet homme, ce peuple, les siens et nous à la fois ? Que gagne-t-on avec un président dont on maquille l'âge et le dossier médical ? Un siècle de plus ? Un sursis ? L'éternité ? Cela devient ridicule et va un jour provoquer le pire à cause de l'entêtement de cette famille à mentir. Les Algériens ont besoin de stabilité dans un monde d'agitations. Ils veulent garder les pieds sur terre et la terre pour leurs enfants et ils n'ont pas besoin d'être manipulés par ces apprentis sorciers de l'image. On peut demander une montagne à l'Algérien si on le met en face au drame et à la douleur de la vie : il en sort toujours compatissant et solidaire. Il suffit de ne plus nous mentir, de ne pas nous prendre pour des moutons maigres et cela servira mieux la cause de cette famille que l'ENTV et ses petitesses. Ceci pour le conseil « technique ». Pour l'éthique, il faut juste rappeler que mentir n'est pas gouverner et que cela devient grossier et lamentable et tragique. Un jour, dans un film, le chroniqueur a noté cette phrase d'un acteur : « On va tous mourir un jour, on va tous y aller mais cela dépend comment. Certains y vont debout, d'autres à genoux et d'autres en rampant ».