« Algérie : la guerre non déclarée de la France» a été le thème de la conférence organisée, hier, au siège du Centre d'études maghrébines en Algérie (CEMA). C'est aussi le titre d'un ouvrage de référence écrit par un des rares historiens anglo-saxons à s'être intéressé d'aussi près à l'histoire de la guerre d'Algérie. Il s'agit de Martin Evans, historien et professeur à l'université britannique de Portsmouth, qui a animé cette conférence organisée conjointement par le Laboratoire de langues, littérature et civilisation en Afrique, l'Université d'Oran et le CEMA, avec comme modérateur le Dr Sadek Benkada, maître de recherche au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) et membre du Conseil scientifique du CEMA. Dans son ouvrage, Martin Evans propose trois pistes d'étude pour l'analyse de la guerre d'Algérie : la haine tenace des Algériens envers le colonisateur français suscitée chez les musulmans par la sanglante conquête de leur pays, l'émergence d'un mouvement nationaliste moderne et déterminé et, enfin, la volonté du pouvoir français, à Paris plus qu'à Alger, de tracer une «troisième voie» entre colonialisme et nationalisme. C'est sans doute sur ce dernier point que sa thèse est plus originale. Le Front républicain au pouvoir de janvier 1956 à mai 1957, dominé par le Parti socialiste de Guy Mollet, a été selon lui le catalyseur de la réponse française à l'insurrection algérienne. Le «national-molletisme» reposait sur le mythe de la mission civilisatrice de la France et sur l'affirmation que le nationalisme algérien, féodal, fanatique et bigot, n'était que l'antichambre du communisme. L'Algérie était, de ce point de vue, «un terrain pour une guerre froide contre le communisme», a indiqué Martin Evans. Ce qui justifiait d'intensifier la guerre en envoyant, au printemps 1956 considéré par l'auteur comme «date décisive», les conscrits en Algérie. Il faudra attendre la conférence de presse du général de Gaulle, le 11 avril 1961, pour que la Ve République admette enfin la réalité : l'Algérie n'est pas la France. Mais l'affrontement des valeurs entre la gauche socialiste et le nationalisme algérien laissera des séquelles pour longtemps. L'auteur ne manquera pas de rappeler qu'un des symboles de cette gauche française, François Mitterrand, qui, en tant que ministre de l'Intérieur en novembre 1954, avait répondu aux attaques du FLN avec une répression accrue, déclarant à l'Assemblée nationale: «L'Algérie, c'est la France. Et qui d'entre vous, Mesdames et messieurs, hésiteraient à employer toutes les méthodes pour préserver la France ?» Aussi, et comme ministre de la Justice dans le gouvernement de centre gauche du Front républicain entre janvier 1956 et mai 1957, Mitterrand a été un des principaux acteurs dans la condamnation à mort des prisonniers du FLN le 19 juin 1956, un point de non-retour dans le cycle de la violence et de la contre-violence. «Cela me ramena à réfléchir sur le rôle de la gauche française dans le colonialisme, à la fois en Algérie et ailleurs. Je voulais explorer la relation entre la rhétorique de la «mission civilisatrice universelle» issue de la Révolution française de 1789 et la domination coloniale: un thème éternel dans tout mon travail ultérieur», a expliqué Martin Evans.