La conférence donnée par l'historien français Benjamin Stora a drainé beaucoup de monde mardi en fin de journée en marge du Salon international du livre d'Alger qui se tient sur l'esplanade du complexe olympique Mohamed-Boudiaf. Beaucoup de monde mais aussi beaucoup de passion de la part d'un public visiblement très avide d'histoire, mais aussi prompt à polémiquer, voire à « injurier » l'ex-puissance coloniale. Le conférencier et son modérateur, l'universitaire Abdelmadjid Merdaci, il faut le dire, ont eu du mal à gérer cette débauche d'énergie de l'auditoire qui, en fait, voulait plus s'exprimer, commenter, donner son avis que de poser des questions ! Il est vrai le sujet dont a traité Benjamin Stora, s'il a partie liée avec la mémoire française relative à la guerre d'indépendance algérienne, n'en a pas moins également un lien direct avec notre propre mémoire. Il s'agit de l'histoire de François Mitterrand, cette autre « version gauchisante» de De Gaulle peut-être avec moins d'ombres et de mystères, en fait l'histoire d'un homme totalement englué dans la guerre en tant que ministre de l'Intérieur à l'époque, mais néanmoins représentant attitré d'une gauche française officiellement plus ouverte sur le monde algérien. Donc après « Le mystère De Gaulle. Son choix pour l'Algérie » publié l'année dernière, Stora nous revient cette année avec « Mitterrand et l'Algérie », autre personnalité dont l'étude de la biographie permet, selon lui, de « regarder les histoires de société à hauteur d'homme ». Le conférencier lance péremptoire : « Dans le fond, la gauche française de 1954 à 1957 était, qu'on le veuille ou non, partisane de l'Algérie française, elle n'était pas favorable à l'indépendance de l'Algérie ». Et d'ajouter : « L'attitude de François Mitterrand, on ne peut pas la comprendre si on ne la situe pas dans son contexte historique très précis, c'est-à-dire en tant que s'inscrivant dans une position politique de la gauche dans le sens large, qui était celle des réformes, de la justice, de l'égalité sociale et juridique. On peut dire que ce qui faisait le point commun de la quasi-totalité du personnel politique de l'époque, c'est leur méconnaissance absolue du nationalisme algérien. Lorsque le 1er novembre éclate, c'est une grande surprise pour eux » . Pourtant, quand la guerre commence la réaction de François Mitterrand a été de dissoudre, tout de suite, c'est-dire le 5 novembre 54, le MTLD de Messali Hadj (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, NDLR). Quand on réfléchit avec le recul, on s'aperçoit que c'est une erreur politique extraordinaire. L'erreur politique a été de précipiter la plupart de ces militants nationalistes dont certains, disons-le carrément, n'étaient pas partisans de la lutte armée ». Et de faire observer : « Mais la décision de la dissolution les a poussés vers la radicalité, vers la clandestinité, la lutte armée et l'exil même ». Le conférencier s'est dit « stupéfait » de voir à quel point la décision politique qui est prise à ce moment-là « témoigne de cet espèce de mépris envers une organisation politique en tant que telle, qui a pignon sur rue, qui a ses journaux, son appareil politique et qui est sortie des élections même si elles sont truquées ». Poursuivant son analyse, Stora relève la seconde importante décision prise par Mitterrand à savoir la dissolution quelques mois plus tard de l'UDMA (Union démocratique du manifeste algérien, NDLR) de Ferhat Abbas « autre organisation politique, qui a aussi pignon sur rue même si elle n'est pas du tout radicale, mais qui était inscrite dans la matrice du nationalisme algérien ». Selon Stora, Français Mitterrand et Pierre Mendès-France disaient à qui voulaient les entendre qu'ils « n'ont pas d'interlocuteurs (Algériens NDLR).» A partir de mars 1956, les choses s'accélèrent. François Mitterrand et Guy Molley décident de l'envoi des contingents en Algérie. « Mitterrand voulait devenir président du Conseil, mais il n'a pas compris une chose fondamentale, c'est que le sentiment nationaliste algérien est profond » note-t-il. «Tous ses calculs ont été balayés. En 1956, on est déjà en pleine décolonisation, dans une situation mondiale qui a basculé entièrement dans l'anticolonialisme : canal de Suez, la conférence de Bandung le nassérisme » note Stora. Ce n'est que plus tard avec la bataille d'Alger et l'escalade militaire qui s'ensuit que Mitterrand va se rendre à l'évidence. Dans une lettre il y reconnaît que se qui se passe à Alger est « insupportable ». «Mais si Mitterrand échoue à devenir président du Conseil dans les années 50, en se laissant broyer par de Gaulle, il va ressurgir en prenant le pouvoir en France. Mais avant d'y parvenir en 1981, Mitterrand a dû d'abord prendre le pouvoir en 1971 au sein du Parti socialiste français en écartant de la direction du PS tous les hommes qui s'étaient opposés à lui au temps où il était ministre de l'Intérieur pendant la guerre d'Algérie ! » rappelle Stora. L'orateur prête à Mitterrand une « suprême habileté politique » en ce sens qu'il a su « porter la responsabilité du passé algérien de la gauche sur les seules épaules de Guy Mollet en faisant oublier qu'il était le bras droit de celui-ci ». La conférence donnée par l'historien français Benjamin Stora a drainé beaucoup de monde mardi en fin de journée en marge du Salon international du livre d'Alger qui se tient sur l'esplanade du complexe olympique Mohamed-Boudiaf. Beaucoup de monde mais aussi beaucoup de passion de la part d'un public visiblement très avide d'histoire, mais aussi prompt à polémiquer, voire à « injurier » l'ex-puissance coloniale. Le conférencier et son modérateur, l'universitaire Abdelmadjid Merdaci, il faut le dire, ont eu du mal à gérer cette débauche d'énergie de l'auditoire qui, en fait, voulait plus s'exprimer, commenter, donner son avis que de poser des questions ! Il est vrai le sujet dont a traité Benjamin Stora, s'il a partie liée avec la mémoire française relative à la guerre d'indépendance algérienne, n'en a pas moins également un lien direct avec notre propre mémoire. Il s'agit de l'histoire de François Mitterrand, cette autre « version gauchisante» de De Gaulle peut-être avec moins d'ombres et de mystères, en fait l'histoire d'un homme totalement englué dans la guerre en tant que ministre de l'Intérieur à l'époque, mais néanmoins représentant attitré d'une gauche française officiellement plus ouverte sur le monde algérien. Donc après « Le mystère De Gaulle. Son choix pour l'Algérie » publié l'année dernière, Stora nous revient cette année avec « Mitterrand et l'Algérie », autre personnalité dont l'étude de la biographie permet, selon lui, de « regarder les histoires de société à hauteur d'homme ». Le conférencier lance péremptoire : « Dans le fond, la gauche française de 1954 à 1957 était, qu'on le veuille ou non, partisane de l'Algérie française, elle n'était pas favorable à l'indépendance de l'Algérie ». Et d'ajouter : « L'attitude de François Mitterrand, on ne peut pas la comprendre si on ne la situe pas dans son contexte historique très précis, c'est-à-dire en tant que s'inscrivant dans une position politique de la gauche dans le sens large, qui était celle des réformes, de la justice, de l'égalité sociale et juridique. On peut dire que ce qui faisait le point commun de la quasi-totalité du personnel politique de l'époque, c'est leur méconnaissance absolue du nationalisme algérien. Lorsque le 1er novembre éclate, c'est une grande surprise pour eux » . Pourtant, quand la guerre commence la réaction de François Mitterrand a été de dissoudre, tout de suite, c'est-dire le 5 novembre 54, le MTLD de Messali Hadj (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, NDLR). Quand on réfléchit avec le recul, on s'aperçoit que c'est une erreur politique extraordinaire. L'erreur politique a été de précipiter la plupart de ces militants nationalistes dont certains, disons-le carrément, n'étaient pas partisans de la lutte armée ». Et de faire observer : « Mais la décision de la dissolution les a poussés vers la radicalité, vers la clandestinité, la lutte armée et l'exil même ». Le conférencier s'est dit « stupéfait » de voir à quel point la décision politique qui est prise à ce moment-là « témoigne de cet espèce de mépris envers une organisation politique en tant que telle, qui a pignon sur rue, qui a ses journaux, son appareil politique et qui est sortie des élections même si elles sont truquées ». Poursuivant son analyse, Stora relève la seconde importante décision prise par Mitterrand à savoir la dissolution quelques mois plus tard de l'UDMA (Union démocratique du manifeste algérien, NDLR) de Ferhat Abbas « autre organisation politique, qui a aussi pignon sur rue même si elle n'est pas du tout radicale, mais qui était inscrite dans la matrice du nationalisme algérien ». Selon Stora, Français Mitterrand et Pierre Mendès-France disaient à qui voulaient les entendre qu'ils « n'ont pas d'interlocuteurs (Algériens NDLR).» A partir de mars 1956, les choses s'accélèrent. François Mitterrand et Guy Molley décident de l'envoi des contingents en Algérie. « Mitterrand voulait devenir président du Conseil, mais il n'a pas compris une chose fondamentale, c'est que le sentiment nationaliste algérien est profond » note-t-il. «Tous ses calculs ont été balayés. En 1956, on est déjà en pleine décolonisation, dans une situation mondiale qui a basculé entièrement dans l'anticolonialisme : canal de Suez, la conférence de Bandung le nassérisme » note Stora. Ce n'est que plus tard avec la bataille d'Alger et l'escalade militaire qui s'ensuit que Mitterrand va se rendre à l'évidence. Dans une lettre il y reconnaît que se qui se passe à Alger est « insupportable ». «Mais si Mitterrand échoue à devenir président du Conseil dans les années 50, en se laissant broyer par de Gaulle, il va ressurgir en prenant le pouvoir en France. Mais avant d'y parvenir en 1981, Mitterrand a dû d'abord prendre le pouvoir en 1971 au sein du Parti socialiste français en écartant de la direction du PS tous les hommes qui s'étaient opposés à lui au temps où il était ministre de l'Intérieur pendant la guerre d'Algérie ! » rappelle Stora. L'orateur prête à Mitterrand une « suprême habileté politique » en ce sens qu'il a su « porter la responsabilité du passé algérien de la gauche sur les seules épaules de Guy Mollet en faisant oublier qu'il était le bras droit de celui-ci ».