La matinée d'hier a été tout sauf monotone pour les dix-sept grévistes de la faim de l'usine Lafarge à Oggaz. En effet, dès neuf heures du matin, leurs familles ont commencé à rejoindre le lieu où ces grévistes observent leur mouvement de protestation depuis dix-sept jours déjà. Coïncidant avec l'éclaircie, puisque la nuit a été marquée par de fortes précipitations, ces retrouvailles ont presque l'allure d'un pique-nique. A part que personne, y compris les gosses, ne mangeait par respect à ceux qui jouent leur vie pour «pouvoir arracher leur réintégration au travail», selon les dires d'un proche des grévistes rencontré sur les lieux. De temps à autre, des petits groupes se forment et des discussions sont engagées. Par bribes, nous obtenons des informations. Comme celle de la lettre envoyée par Sidi Saïd, patron de l'UGTA, exigeant de la direction de Lafarge de reconsidérer ses positions vis-à-vis de ces travailleurs mis à la porte. Il semblerait que le patron de la centrale syndicale a accordé un délai limité à la direction de cette entreprise avant de passer à une autre démarche. Aussi, nous apprenons que quatre grévistes étaient à Sig pour «défiler» devant le juge d'instruction. Ils doivent répondre à une plainte «de port d'armes blanches, d'entrave aux camions d'accéder à l'enceinte de l'usine et de sabotage du four de l'usine». Pendant que nous étions encore sur place, ils ont rejoint leurs camarades grévistes. L'un nous dira qu'il a été entendu par le juge d'instruction en tant que témoin, tiendra-t-il à préciser. «L'entrevue n'a pas excédé une quinzaine de minutes», soulignera-t-il. Et d'expliquer : «Comment on peut nous accuser de port d'armes blanches et d'agression des camionneurs alors qu'un agent des Renseignements Généraux est présent sur les lieux matin et soir ?». «Comment on peut imaginer qu'on a saboté le four alors que la gendarmerie fait des rondes d'une manière régulière et n'a rien relevé ?». Et de conclure: «Nous allons les poursuivre pour accusations calomnieuses». La présence des enfants, notamment des bébés de certains grévistes, casse l'ambiance sinistre de ces lieux. Les petites tentes de plages, collées l'une à l'autre pour ne pas être emportées par les vents, semblent misérables. Les grévistes, tous barbus par la force des choses, fournissent des efforts monumentaux pour pouvoir répondre à nos salutations. Munis de caméras, des militants des droits de l'homme, venus manifester leur solidarité avec ces grévistes de la faim, ont créé l'envie d'immortaliser le moment en prenant des photos. On se permettra même une grande photo de famille regroupant tous les parents, les amis et les grévistes de la faim. Entre-temps, un infirmier venu de l'usine a pris la tension à certains d'entre eux. Rien d'alarmant puisque leur tension artérielle se situe entre dix et onze. Mais un moment donné, une voiture jaune du Samu est venue évacuer l'un d'entre eux, resté toute la matinée dans sa tente. L'évacuation semble poser quelques problèmes. Au moment où nous décidons de quitter les lieux, le ciel s'est assombri. Sur le point de retour, un des grévistes nous informe que les familles ont décidé de se déplacer tous à Oggaz pour rencontrer le wali attendu dans cette commune. Mais les jeunes, amis et parents des grévistes, ont discuté «techniquement» de la fermeture de l'accès à l'usine. Une action déjà programmée... pour les jours à venir. A moins que.