La campagne électorale a pris fin officiellement hier. Elle a été marquée par une très forte bipolarisation entre les partisans du président sortant, en course pour un 4ème mandat, et ceux d'Ali Benflis. Cette bataille hargneuse qui a largement éclipsé les autres candidats se termine dans l'échange d'invectives et d'accusations. Les déchirements de Ghardaïa ont commencé bien avant la campagne électorale. Ils ont servi de toile de fond d'une campagne électorale surréaliste. Même si elle était prévisible, l'annonce de la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat a créé un choc et suscité même un réveil des contestations assoupies. Même s'il a fait quelques apparitions en rencontrant des ministres étrangers de passage, la capacité de Bouteflika à conduire les affaires de l'Etat est restée un thème fortement présent. Le fait que sa campagne électorale a été menée du début à la fin sans sa «présence» par une brochette de ministres autour du très controversé Abdelmalek Sellal ne pouvait permettre d'oublier cette question de l'aptitude du chef de l'Etat à rempiler pour un nouveau mandat. Alors que cette décision de rempiler créait un sentiment qu'on basculait dans un mode de présidence à vie -qui n'existe plus que dans les régimes totalitaires- de très graves erreurs de communications du camp présidentiel ont créé des crispations et généré des oppositions. Le très malheureux gag sur les Chaouias d'Abdelmalek Sellal -même s'il n'était pas animé d'intentions mauvaises- est tombé dans un contexte national déjà crispé. Il est devenu un moment «marquant» de cette campagne, voire un tournant. LE GAG SUR LES CHAOUIAS, UN MARQUEUR A l'Est, chez les Chaouias et au-delà, le camp de Bouteflika subit les conséquences de ce mauvais gag. Il a permis à Ali Benflis qui, même s'il est de la région, n'avait pas forcément l'adhésion générale de faire le plein. Dans ces régions, il y a déjà une certaine détermination à entrer en contestation qui pourrait s'exprimer après le 17 avril. La campagne présidentielle ne s'est pas déroulée avec la facilité prévue même si elle avait été longuement préparée par les visites dans les wilayas d'Abdelmalek Sellal où comme de «tradition» on a affecté des ressources et fait des promesses. Et ce ne sont pas seulement les erreurs de communication de Sellal -le «Fakakir à qui on a tendance à imputer sur Facebook toutes les bêtises imaginables-qui ont expliqué ces difficultés. AMROUL'HA DJED'HA ! Le conflit au sein des chefs du régime, devenu «visible» après la sortie d'Amar Saïdani contre le général Toufik, le chef du DRS, a fortement pesé. Certains notant avec un certain humour que le «savoir-faire» du DRS a fortement manqué à une campagne Bouteflika qui commençait nécessairement avec le handicap d'être celle d'un homme au pouvoir depuis 1999. Le mot d'ordre a été tout trouvé pour les opposants : «Pourquoi celui qui a échoué pendant quinze ans va-t-il réussir dans les cinq prochaines années ?» Et les difficultés rencontrées par cette campagne, parfois dans la violence comme à Bejaia où Sellal a été empêché de tenir un meeting, ne sont pas le fait des partisans d'Ali Benflis, contrairement à ce que suggère le violent communiqué publié samedi par l'équipe de Sellal. En réalité, le 4ème mandat cristallise des oppositions diverses, souvent non organisées, où se conjuguent un sentiment de colère contre «la présidence à vie», les bévues de la communication de l'équipe Sellal -hier il a lancé un équivoque «Amroul'ha djed'ha» (remplissez les urnes !)- et l'effet de la crise aiguë au sein du régime. LA STABILITE ? ON EN PARLE APRES LE 17 Le plus inquiétant pour le camp de Bouteflika est que le thème de la «stabilité» qu'ils ont mis en avant jusqu'à saturation pourrait se retourner contre eux au lendemain du 17 avril. D'où d'ailleurs des attaques en règle contre Ali Benflis accusé de tous les maux. Il est accusé de menacer les walis et chefs de daïras et d'œuvrer «à semer le doute sur la transparence des élections, se posant de façon anticipée en victime de fraude et posant sa victoire comme inéluctable, malgré les signes qui ne trompent pas, d'une débâcle électorale annoncée le concernant». Cette crainte de voir Benflis refuser de «rentrer tranquillement chez lui» après le 17 avril a donné lieu à la très surprenante sortie d'Abdelaziz Bouteflika devant le ministre espagnol des Affaires étrangères. «Qu'un candidat menace les walis et les autorités en disant faites attention à vos familles et à vos enfants en cas de fraude, cela veut-dire quoi ?... C'est du terrorisme à travers la télévision» ! Du jamais vu dans les annales officielles algériennes où l'on a tendance souvent à culpabiliser les adversaires sur le fait d'aller se «plaindre» chez les étrangers. Mais la sortie est révélatrice de l'inquiétude du camp présidentiel à l'issue d'une campagne totalement «spécifique». BENFLIS UNIQUE RIVAL Sans surprise, à force d'être la cible du camp présidentiel, Ali Benflis a été intronisé de fait le principal -pour ne pas dire unique- rival sérieux de Bouteflika. Louisa Hanoune aura d'ailleurs contribué à cela en s'attaquant plus souvent à Benflis qu'à Bouteflika qui est pourtant comptable d'un bilan. Comme dans son programme économique où il a construit sur les critiques nombreuses émises par les experts et les opérateurs au sujet de la politique de Bouteflika, Ali Benflis, dont le principal adversaire est le boycottage, a profité de la conjonction des «anti-Boutef» pour se donner une stature. Son discours est devenu, au fil des jours, plus ferme et plus déterminé. Ceux qui jusque-là, dans l'opposition comme dans le camp de Bouteflika, n'y voyaient que le lièvre «principal et nécessaire» de l'élection 2014, ont commencé à le voir d'un autre œil. Et s'il refusait de «jouer» la partie qu'on lui destinait dans un remake de 2004 ? A l'appui de cette possibilité de «révolte du lièvre», on note que le régime n'a pas la même homogénéité qu'en 2014 et que ses divisions se sont étalées en plein jour. Il y a une «brèche» dans laquelle Ali Benflis pourrait s'engouffrer. PRET AU BRAS DE FER ? A condition d'être prêt à engager le bras de fer. Et en apparence, il le veut. Il martèle qu'il n'est pas question qu'il se taise en cas de fraude. Durant l'émission «des questions et des programmes» où il avait fait face avec un certain brio à des journalistes particulièrement agressifs, il a affiché sa détermination. «Quand un voleur vient chez moi pour me prendre mon bien, vous ne vous attendez pas à ce que je lui dise bienvenue Les millions d'Algériens qui sont avec moi n'accepteront pas de se taire !». Ses partisans évoquent ouvertement le recours à l'organisation des sit-in en cas de «fraudes avérées». Dans un communiqué rendu public hier il accuse le camp de Bouteflika de dénaturer ses propos sur les walis et les chefs de daïras. Il souligne qu'il a bien lancé un appel aux agents de l'Etat pour leur demander «d'être conscients de la lourde responsabilité qu'ils portent dans la régularité et la transparence du scrutin». Et que ces agents de l'Etat savent «au fond d'eux-mêmes» qu'Allah «réprouve la fraude, que la morale la rejette et que la loi la condamne». La campagne qui s'est déroulée sur fond de déchirements à Ghardaïa se termine dans la tension et dans l'incertitude de l'après-17 avril.