L'avocat et militant des droits de l'homme Miloud Brahimi a appelé hier lundi l'armée à se retirer de la vie politique. «Le dernier service à la nation pour l'armée est qu'elle se retire de la politique», a indiqué à la radio nationale Miloud Brahimi. «L'armée doit avoir un rôle central, on doit lui assigner un rôle dans la défense de la constitution, si elle est en danger», préconise-t-il, estimant nécessaire de mettre en place une commission sur le modèle du Conseil constitutionnel et «qui pourrait demander à l'armée de jouer un rôle de protection de la constitution». Sur l'appel du président Bouteflika à une large concertation nationale pour la révision de la Constitution, il a relevé que la commission Bensalah a fait «un excellent travail». Pour autant, «la démocratie, ce sont deux choses: l'une est technique et la seconde est éthique. La technique c'est l'accès au pouvoir par la majorité, et l'éthique ce sont les droits de l'homme, la liberté d'expression, ce sont beaucoup de choses. Le problème, c'est qu'il ne faut pas au nom de la technique porter atteinte à l'éthique». C'est pour cela, souligne-t-il, «qu'il faut mettre en place des mécanismes pour que l'accès au pouvoir ne mette pas en danger l'éthique». Pour lui, la révision donc de la Constitution doit se faire selon «les fondamentaux de la démocratie», et «supprimer l'article 2 de la Constitution pour séparer la religion et l'Etat». Par ailleurs, Miloud Brahimi, connu pour ses positions politiques et qui plaide pour une vraie démocratie, est plus que jamais remonté contre le système judiciaire algérien. Il a rappelé les méfaits sociaux et économiques de la détention préventive abusive, sans application de la présomption d'innocence, comme dans le cas des affaires 1 et 2 de Sonatrach, ou le dossier de l'autoroute Est-Ouest. JUSTICE A LA CASSE «La justice, c'est moins un état de réformes qu'un état d'esprit» a-t-il dit, expliquant que «le problème (de la justice algérienne) est dans l'application des textes de justice». Pour lui, il s'agit à ce niveau des «(12) travaux d'Hercule». Et puis, «on focalise sur les grands dossiers, et on oublie que 99% des affaires concernent le citoyen lambda», a-t-il détaillé, citant dans la foulée des affaires de justice où la condamnation est «inadmissible» et sans aucun rapport avec l'acte. «Il faut que les magistrats sachent que le justiciable n'est pas un ennemi, mais une personne qui a dérapé. Il faut qu'on revienne aux fondamentaux de la justice», dira t-il, soulignant que «la détention préventive dans le cadre de l'affaire Sonatrach est abusive, et accorde la priorité aux biens matériels contre la liberté des gens». Pour lui, plus que jamais, la justice algérienne doit «appliquer la présomption d'innocence», un de ses grands chantiers pour la réforme du système judiciaire national. Car, explique-t-il, il y a un «recours abusif à la détention préventive. Les gens sont condamnés abusivement». Une fois encore, Miloud Brahimi rappelle que «l'indépendance de la justice n'a jamais été de dire au juge de n'en faire qu'à sa tête, mais il doit obéir à la loi. Il n'a pas le droit de dire j'en fais à ma tête». En outre, la détention préventive provoque de graves préjudices à la personne qui a été mise en détention, jugée puis acquittée. Comment dès lors réparer le préjudice moral ? s'interroge-t-il. «Il faut que le juge applique la loi», préconise-t-il, dénonçant en même temps la détention préventive appliquée à une large échelle. «Si les textes sont bons, leur application laisse à désirer», dira-t-il. SERPENT DE MER Pour ce militant des droits de l'homme, la dépénalisation de l'acte de gestion est un serpent de mer. «Le président (Bouteflika) a donné des instructions fermes, claires, formelles, en 2011, et à ce jour elles n'ont pas été appliquées» en matière de dépénalisation de l'acte de gestion. Pour lui, «l'objectif de la commission mise en pace est de comment contourner les instructions du président. Elle a réussi à le faire et se flatte de disposer de textes qui n'ont aucun équivalent dans les Etats de droit». Très remonté donc contre la non application des instructions du président de la République pour accélérer la dépénalisation de l'acte de gestion, Miloud Brahimi estime qu'il ne s'agit pas de «rassurer les gestionnaires, mais de mettre en place un Etat de droit qui évite les errements judiciaires». Car si «au juge on reconnaît le droit de se tromper, quant l'opérateur se trompe, on le met en prison». Pour dépénaliser concrètement l'acte de gestion, cet avocat préconise tout simplement que l'on supprime les articles 26 et 11 bis, et simplifie l'article 29 qui sanctionne les détournements de deniers publics. Quant à la corruption en Algérie, il affirme qu'elle «n'est pas plus importante que dans les autres pays», même avec les affaires Sonatrach 1 et 2 et l'autoroute Est-Ouest. Miloud Brahimi pense qu' «il faut arrêter de réprimer les cadres et faire plus de prévention, pour qu'on arrête de parler de corruption», et reconnaît qu'il y a des «exemples de corruption au plus haut niveau de l'Etat, nous le savons tous. Tout ce qui se dit n'est pas faux sur la corruption, mais il faut arrêter de tout focaliser sur les exemples de Sonatrach et l'autoroute Est-Ouest». Cela existe, ajoute-t-il, «mais il faut plutôt prévenir la corruption que de la réprimer». Et puis, «il faut donner un sens à l'indépendance de la justice. Il faut espérer que les réformes annoncées aboutissent».