Il faut être sérieux. Les prix littéraires, de paix et, ces dernières heures, celui de l'économie, relèvent carrément de la farce. On a vu un auteur devant le restaurant où se réunit le jury attribuant le Goncourt avec un bruyant supporter, tenant en laisse son chien. Il ne l'a pas obtenu. Comme cela fit hurler tout le petit monde qui croit décider de ce qui doit se lire, le même jury lui attribua la «reconnaissance», plus tard, pour un texte qui n'en valait pas la peine. C'est comme un arbitre annulant un but incontestable se rattrapant en désignant le point de penalty à la malheureuse équipe en compensation. La télévision diffusa, une autre année, à la proclamation des résultats de ce même prix, les images navrantes d'un auteur, reconnu, qui ne comprenait pas pourquoi ne lui fut pas attribué. Sauf pour satisfaire son ego, de vous à moi, il n'en a pas vraiment besoin. Il devrait comprendre qu'une consécration n'estampillera pas sa plume du poinçon 18 carats. Dans la veine des choix contestables, Menahem Begin, lui, qui aurait relevé de tribunaux pour crimes de guerre et de nettoyage ethnique quand il terrorisait les Palestiniens pour les contraindre à l'exil, obtint le prix Nobel de la paix. Comme Barak Obama, quelques décennies plus tard. A se demander si ceux qui attribuent ces titres lisent la presse pour évaluer les travaux de ceux-ci ou de ceux-là, les publications, s'ils leur arrivent de lire plus de six cents romans annuels que produisent les éditeurs pour fixer leur choix sur un auteur et si, en définitive, tout cela n'est qu'un barnum, un cirque pour décider, selon les circonstances, politiques souvent, sociétales aussi, de mode, enfin, pour se partager ce qui constitue un afflux de ressources. Du coup, le prix Nobel d'économie -qui n'existe pas, comme chacun sait, et fut créé par la Banque suédoise en 1968-, M. Jean Tirole, diplômé de Polytechnique et poli par le prestigieux MIT, Massachusetts Institute of Technologie, se prend à se dire, à chaud, prêt à conseiller le gouvernement de son pays sur la situation morose de son économie avant de polir ses propos. Quand on se souvient des dégâts occasionnés par les «Chicago boys», produit du professeur Milton Friedmann, prix Nobel (ils ont osé !) d'économie, conseiller des proches de Reagan et du dictateur Pinochet, on tremble à l'idée d'entendre ces hommes se croire investis d'une mission. Le pire choix fut cet auteur chinois, Mo Yan, naturalisé français en 1997, dont on entendit plus parler, ni lut une seule ligne après avoir reçu, en 2012, un prix Nobel de littérature par défaut. Histoire d'empoisonner l'existence d'un milliard trois cents millions de Chinois ? Ça ne les a pas empêchés, ces Chinois, de décrocher -c'est tout frais- le premier rang mondial en matière de production et d'innovation industrielle. De la casserole en plastique au porte-avions, à la fusée qui déposa sur la lune un véhicule scientifique téléguidé, alors que les caisses de leur Etat sont bien pleines et les caves de leur Banque centrale remplies de lingots d'or. J'aime. J'aime également l'auteur des «Mots», Jean-Paul Sartre, qui refusa, en 1964, cette «distinction», laissant l'académie suédoise orpheline d'un prix littéraire qui en aurait fait un bourgeois plus que bourgeois. Aujourd'hui, je le comprends mieux. Je le comprends d'autant que «Des Hommes», le roman de Mauvinier, d'une pudeur exceptionnelle, d'une écriture pure pour évoquer la guerre d'Algérie et ses conséquences sur les hommes, qui fit l'unanimité, rare, des critiques, ne fut pas récompensé. C'est le ton, l'écriture, la fraîcheur qui en firent un best seller. Grâce au bouche à oreille. Et c'est tant mieux. Moi, j'ai beaucoup aimé. J'aime beaucoup moins le «copié-collé» en faveur de la création d'un prix, bien de chez nous, pour célébrer un écrivain, bien de chez nous, à qui on pourrait faire confiance, pour pasticher un slogan de Sonatrach. Ils vont nous dire, demain, ce que nous devons lire de notre cru pour que l'on ne vienne pas «découvrir» et nous «piquer» nos écrivains pour les mettre sous les feux de l'actualité des salons parisiens. Excellente initiative s'ils ne faisaient pas partie des réseaux d'éditeurs européens, pour ne pas dire français, auxquels ils penseront nécessairement pour sous-traiter ceux que l'acte d'écrire doit passer par «j'écris comme je veux», avec des touches de trivialités, ici et là, des blasphèmes aussi -qui ne se justifient pas- dans le seul but d'afficher la «liberté d'esprit» et le côté «in». Toutes choses dont, souvent, ils n'ont pas besoin parce que, dans ce lot -j'allais dire malgré leur tapage-, on y trouve de véritables pépites. L'apostasie, encore moins l'athéisme, que certains tiennent pour label de qualité et d'indépendance d'esprit, ne se proclament pas. C'est une affaire personnelle. De conscience. Sans quoi, ils aspireraient à devenir clergé. Politique éditoriale. Politique commerciale. Un prix décerné n'est jamais neutre. Il est un acte, une décision politique -jamais le film «Citizen Kane», chef-d'œuvre s'il en fut que l'on doit à Orson Welles, n'a jamais été primé-. Au contraire. Il a été systématiquement torpillé par les critiques qui publiaient leurs articles dans les journaux de Hertz, le magnat dont le portrait acerbe était dressé. Une minorité décide pour la majorité de ce qu'elle doit lire et voir. Pas plus qu'ailleurs, il n'y a de démocratie. Pour ajouter une pinte de politique pure, je lis dans la presse qu'un autre cercle, celui du 10 Downing Street, qui proclame pourtant son attachement à la démocratie et à sa représentation nationale, et prétend s'y plier, ce cercle donc tient pour nul le vote du Parlement britannique (la représentation populaire, pourtant) qui, réuni le 14 mai, a voté à 274 voix pour contre 12, sur 650 élus, autant dire à une majorité confortable, pour la reconnaissance du droit du peuple palestinien à un Etat. Vote qui est un «flop» pour le Premier ministre David Cameron. Qui n'infléchira pas sa politique d'un iota contre le tandem Etats-Unis-entité sioniste. La représentation nationale n'a qu'à aller se rhabiller. Alors, chez nous, comme chez eux, les élections, le vote, les Prix littéraires, de sciences et d'autres choses encore, ça sert à quoi ? Et à qui ? Un seul lauréat a répondu à cette question, sans hypocrisie : Jean-Marie Le Cléziot, prix Nobel de littérature, lui aussi, en 2008. Il avoua alors, candidement, que les centaines de milliers d'euros qu'il recevra de l'académie suédoise lui permettront de mettre beaucoup de beurre dans ses épinards. Son éditeur aussi. Mais continuez donc à écrire, malgré tout, même en bordure de la route tracée. Et à voter aussi, crânement, même si vos bulletins sont ignorés. Un jour ou l'autre, vous obtiendrez, vous aussi, la reconnaissance. Vous y aurez été pour quelque chose.