Le prix Nobel de littérature 2012 a été attribué jeudi à l'écrivain chinois Mo Yan dont l'œuvre, souligne l'Académie de Suède, mêle «avec un réalisme hallucinatoire» les contes populaires, l'histoire et le monde contemporain. Agé de 57 ans, il succède au poète suédois Tomas Tranströmer. Le prix Nobel de littérature est doté de huit millions de couronnes (925 000 euros environ). «Mo Yan, en associant imagination et réalité, perspective historique et sociale, a créé un univers qui, par sa complexité, rappelle celui d'écrivains tels William Faulkner et Gabriel García Márquez, tout en s'ancrant dans la littérature ancienne chinoise et la tradition populaire du conte», poursuit l'Académie de Suède. D. H. Lawrence et Ernest Hemingway ont aussi influencé l'œuvre du romancier, premier écrivain chinois à obtenir ce prestigieux prix littéraire. En 2000, le Nobel de littérature avait été attribué à Gao Xingjian, écrivain né en Chine mais naturalisé français dont les romans et les pièces de théâtre sont interdits en Chine depuis 1996. «Il a un style unique. Il suffit de lire une demi-page de Mo Yan pour le reconnaître immédiatement», a commenté Peter Englund, qui dirige l'Académie de Suède, à la télévision suédoise. Mo Yan, a-t-il ajouté, était chez lui avec son père lorsqu'il a appris la nouvelle. «Il a dit qu'il était à la fois fou de joie et terrifié.» Le Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, a salué la décision de l'Académie de Suède. «Il est le premier auteur chinois à remporter le prix Nobel de littérature. Les écrivains chinois attendaient cela depuis trop longtemps, le peuple chinois attendait cela depuis trop longtemps», peut-on lire dans un commentaire mis en ligne sur son site internet. Enfance difficile Né en 1955 de parents cultivateurs dans la province du Shandong (est), Mo Yan, de son vrai nom Guan Moye, est contraint en pleine Révolution culturelle de quitter l'école à douze ans pour travailler dans les champs puis à l'usine. Cette enfance douloureuse va inspirer ses textes, qui traitent de la corruption, la décadence de la société chinoise, la politique de planification familiale et de la vie en milieu rural. «La solitude et la faim ont nourri ma création», a-t-il expliqué un jour. En 1976, il est recruté par l'Armée populaire de libération, où il se met à étudier à l'Institut militaire des arts et de littérature avant d'entrer à l'Université de Pékin. Il écrit parallèlement ses premiers récits. Une première nouvelle est publiée en 1981 dans une revue littéraire. Une vingtaine de romans et récits suivront, dont «Touming de hong luobo» (1986, «Le radis de cristal» pour sa traduction en français en 1993), «Hong gaoliang jiazu» (1987, en français «Le clan du sorgho», 1990) et «Fengru feitun» (1996, en français «Beaux seins, belles fesses», 2004), fresque historique qui décrit la Chine du XXe siècle à partir du portrait d'une famille. Mo Yan, un pseudonyme qui signifie «celui qui ne parle pas», signe également de nombreux essais et nouvelles. «Le clan du sorgho», qui s'attache aux difficultés endurées par les paysans dans les premières années du régime communiste chinois, a été adapté au cinéma par Zhang Yimou en 1987 «Le sorgho rouge». «Certains préféreront crier dans la rue...» Pour certains critiques, Mo Yan, vice-président de l'Association des écrivains chinois, est trop proche du Parti communiste chinois, même si certains de ses livres ont été censurés par les autorités. Des médias chinois ont jugé certains de ses romans «provocateurs et vulgaires». Un certain nombre de militants des droits de l'homme et de confrères écrivains chinois le tiennent pour un «écrivain officiel» et lui reprochent son silence en 2010 lorsque l'attribution du Nobel de la paix au dissident chinois incarcéré Liu Xiaobo a déclenché la colère du régime chinois. «Sur le front politique, il chante la même rengaine que le régime non démocratique», accusait l'avocat Teng Biao avant l'annonce venue de Stockholm. «Qu'il remporte le prix Nobel de littérature serait, je pense, inapproprié», ajoutait-il. L'artiste dissident Aï Weiwei a estimé lui aussi que l'Académie de Suède avait commis une erreur en décernant son prix à un auteur qui, dit-il, porte «la tâche du gouvernement». «Mo Yan a déclaré qu'il n'avait rien à dire au sujet de Liu Xiaobo. Je pense que les organisateurs du Nobel se sont retirés de la réalité en lui décernant ce prix, je ne comprends vraiment pas», a-t-il ajouté. Dans un discours prononcé en 2009 à la Foire du livre de Francfort, repris par le China Daily, Mo Yan répond à ses détracteurs. «Un écrivain, explique-t-il, doit exprimer critique et indignation face au côté obscur de la société et à la laideur de la nature humaine, mais nous devons nous garder d'une expression uniforme.» «Certains préféreront crier dans la rue, mais il nous faut tolérer aussi ceux qui se cachent dans leur chambre et se servent de la littérature pour exprimer leurs opinions». L'essayiste et critique littéraire Yu Shicun, qui vit à Pékin, a lui aussi accueilli avec scepticisme la décision de l'Académie, mais pour des raisons littéraires. «Ses œuvres remontent aux années 1980, quand il était influencé par la littérature latino-américaine. Je ne pense pas qu'il ait créé sa propre œuvre. Nous ne le considérons pas comme un novateur dans la littérature chinoise», a-t-il dit.