Depuis hier on vote en Tunisie. Avec la même équation sous la gorge comme un couteau : les islamistes ou les autres ? Les autres étant les progressistes, les laïcs, les nostalgiques, les gens de la gauche ou de la mer .etc. Partout ailleurs dans le monde dit « arabe », les révolutions semblent avoir crashé. Du moins à échelle d'une vie d'homme. Sauf en Tunisie où les islamistes ont été sauvés par leur ruse, les laïcs par leurs peur et la Tunisie par le fait qu'elle n'a pas d'armée sur le dos. Paradoxe de nos pays perdus : la démocratie n'est légèrement possible que là où il n'y a pas d'armée pour la maquer. La Tunisie est un cas d'école, un pays leader dans le désarroi et la quête de la solution définitive que l'on cherche depuis la chute de Bagdad sur la tête de ses sujets. On la regarde comme un espoir, un miroir, un reflet ou un remake de nos années 90. Sauf que le plus étrange, à saisir au vol lent de l'actualité, est l'indifférence des Maghrébins. Les colonisations/décolonisations avaient fabriqué le Maghreb, les indépendances en ont démantelé l'espoir par le sable et les trahisons. Aujourd'hui, il faut reconnaître au demi-siècle de « pays libres », la paternité de peuples zombies, se tournant le dos, s'ignorant les uns les autres, indifférents à leurs sorts mutuels, hypnotisés par l'ancien colon et jouant du coude pour marcher les uns sur les autres. Un Maghreb aux allures d'un harem affolé ou négligé, selon les visites de De Gaulle, même après sa mort. L'actualité tunisienne, pourtant liée à nos cauchemars et à nos rêves, semble aujourd'hui si peu concerner l'Algérien au-delà de cercles médiatiques restreints. Le voisinage avec le Maroc est réduit à des conciergeries bilatérales qui déçoivent et affligent. Les frontières sont hautes, lourdes, étanches : aujourd'hui avec une génération de Marocains qui ne connaissent rien de l'Algérie ou d'Algériens qui sont nés après les fermetures des frontières, il est plus facile de faire la guerre que le Maghreb uni. Et si un jour il faut juger les régimes locaux, détestables dans leurs crises de jalousies et de rancunes, pour d'autres crimes que l'échec, il faut les juger pour ce qu'ils ont fait de l'idée du Maghreb rêvé par Messali et les autres de son époque. A qui la faute ? Epuisante question qui lasse. Car le drame n'est pas dans la réponse mais dans sa conséquence : une région morte et guerroyante à défaut de réussites et de vocations généreuses dans le monde. Des zombies maghrébins qui reprennent, dans le populisme exacerbé, les propagandes habituelles contre le pays d'a côté, collectionnent les visions ridicules, les humours ternes et les a priori presque racistes les uns sur les autres. Qui ont peur, se détestent et s'accusent de leurs propres vices mutuels. C'est la grande réussite d'un demi-siècle de nationalisme à l'hélium de chaque côté des frontières et de « fraternité » mesquine. Le Non-Maghreb est un drame économique, on le dit souvent, mais aussi une tragédie humaine surtout : on ne sait rien sur la Libye que des insultes de stades, on est indifférent aux Tunisiens, on est en mode rancune gratuite avec les Marocains. Et vice versa. De chaque côté. Des peuples zombies, morts les uns aux autres, sous-développés et sombrant à la verticale dans leurs puits parallèles. C'est cela la tragédie : la seule région au monde où il y a des murs de séparations entre quatre pays entiers. Et cela on le doit aux vénérables régimes des postindépendances et à leur délires et petitesses.